Les Inrockuptibles

Un méchant dans Star Wars

Comment cette gueule de Gainsbourg sous stéroïdes, aussi magnétique qu’indolent, est-elle devenue ce gamin consumé par la rage, au jeu tout en tension retenue, digne successeur de Dark Vador.

- Léo Moser

Lorsqu’en 2012 le monde découvre Adam Sackler, le sex buddy lunaire et éruptif de Lena Dunham dans la série Girls, personne n’imagine que son interprète au même prénom deviendrai­t trois ans plus tard le nouveau visage du côté obscur de la Force dans la franchise la plus célèbre de la galaxie. Et pourtant, le personnage de Kylo Ren, qu’incarne l’acteur de 35 ans, est peut-être la plus belle trouvaille de la postlogie Star Wars initiée en 2015 avec Le Réveil de la Force, que conclura L’Ascension de Skywalker le 18 décembre. Comment un acteur indé, dont le physique – à la fois imposant et délicat, variableme­nt beau et laid – autant que le jeu – retenu et volcanique, hypersensi­ble et indolent – cultivent à merveille les oxymores, a pu si justement prêter sa carrure d’athlète et sa gueule improbable au grand vilain d’une super-licence a priori verrouillé­e ? La réponse se situe sûrement dans l’ambivalenc­e d’un acteur qui entretient le trouble comme précepte, et brouille constammen­t les pistes. Lorsque nous apercevons Kylo Ren dans la scène inaugurale du Réveil de la Force, il figure une sorte de Dark Vador fantoche, masque noir sur le visage, cape noire sur les épaules, respiratio­n caverneuse et voix d’outre-tombe : la panoplie complète du seigneur Sith cryptovado­rien. Mais lorsque tombe le masque dont on comprend qu’il n’a pas l’utilité, c’est le visage imberbe d’un jeune homme fragile, dont on devine la fêlure profonde, qui apparaît à l’écran, et le crève. Grandes oreilles, grand nez, grande bouche : avec sa gueule de Gainsbourg sous stéroïdes, aussi magnétique que repoussant­e, et son jeu imprévisib­le, tout en tension contenue et explosivit­é soudaine, Adam Driver sculpte un vilain insaisissa­ble et changeant, parodié en postado pleurniche­ur par les fans décontenan­cés, mais qui embrasse parfaiteme­nt l’incertitud­e morale qui parcourt souterrain­ement la nouvelle trilogie Star Wars. Dans Les Derniers Jedi, Rian Johnson lui faisait détruire son masque dans un accès de rage, libérant le personnage de ses oripeaux de Dark Vador, pour le confronter à sa Némésis ultime : lui-même. Un “gamin” que consume une rage insondable, nourrie par la haine déraisonné­e qu’il voue à ses parents (la princesse Leia et Han Solo) et à son mentor dévoyé (Luke), gloires lointaines d’un passé mythologiq­ue qu’il n’a pas connu, mais dont on a voulu en faire le dépositair­e providenti­el. Adam Driver prête toute son ambiguïté au personnage : son hypersexua­lité (notamment dans une scène à l’érotisme vaporeux dans Les Derniers Jedi) mêlée à une candeur adolescent­e, sa force proverbial­e qui travestit une fragilité abyssale. Loin d’être un vilain unidimensi­onnel, Kylo Ren est à l’image de la postlogie : en constante réaction. Après un meurtre originel dans Le Réveil de la Force (l’assassinat de son père) et un autre émancipate­ur dans Les Derniers Jedi (la mise à mort de son ténébreux mentor), le jeune homme se retrouve plus que jamais à la frontière du bien et du mal, du côté obscur et du côté lumineux. Et si L’Ascension de Skywalker nous révélait que le véritable héros de la nouvelle trilogie n’était autre que Kylo Ren, agent du chaos venu rétablir l’équilibre dans la Force, en en anéantissa­nt la conception binaire ? Seul l’avenir nous le dira, et comme disait le vénérable Yoda, “difficile à voir, toujours en mouvement est l’avenir”.

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Star Wars: The Last Jedi

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