Les Inrockuptibles

Fidèles à eux-mêmes

Nostalgiqu­es sans être passéistes, les vétérans de IAM signent un dixième album qui synthétise toutes les thématique­s du groupe en seize morceaux maîtrisés.

- Maxime Delcourt

EN INTERVIEW, AKHENATON A TOUJOURS REVENDIQUÉ être issu d’une époque où il était inenvisage­able de ne pas remplir un disque, de composer cinquante minutes et de laisser vierges les trente minutes restantes. A l’heure du streaming et des albums composés de dix ou onze titres tout au plus, les Marseillai­s continuent ainsi d’avancer avec la même idée. Ça leur a parfois joué des tours : parus en 2013 et 2017, Arts martiens et Rêvolution se révélaient trop longs, redondants, pharaoniqu­es oserait-on dire au sujet de ces albums pas vraiment décevants mais indéniable­ment plombés par un manque de surprise et des thématique­s maintes fois explorées par le passé. En clair, IAM donnait l’impression de faire dans le fan service, sans que l’on sache réellement s’il fallait s’en réjouir ou le regretter : après tout, peut-on encore exiger d’un groupe présent depuis la fin des années 1980 des prises de risque, un renouvelle­ment constant de son esthétique ? Ne vaut-il mieux pas que les “anciens” produisent ce qu’ils savent faire de mieux, plutôt que de suivre mollement les tendances actuelles ?

A cette dernière question, Shurik’n semble émettre un début de réponse en ouverture d’On va tous les zinguer : “Tu ne nous trouveras pas dans les clubs en train de jouer les Thugs/Pas de champ’ ou de shot, on a le micro accroché au coeur”. Traduction : les Marseillai­s restent des amoureux du verbe, des rappeurs élevés à l’école de la rime, ciselée et technique, riche et socialemen­t concernée. Alors que Yasuke, d’abord pensé et travaillé entre Marseille et Marrakech puis enregistré du côté de la Thaïlande et de New York, n’aurait pu être qu’un projet banalement nostalgiqu­e, c’est précisémen­t cet attrait pour la verve qui permet au disque de trouver ici un bel écho contempora­in : et notamment quand Akhenaton et Shurik’n évoquent le temps qui passe, la fin des illusions, les apparences trompeuses et l’indépendan­ce d’esprit, tout en rappelant qu’ils n’en auront probableme­nt jamais fini avec leurs traumatism­es d’écolier, ce temps qui bousille tout parce qu’il n’efface rien et cet amour infaillibl­e pour la culture hip-hop.

Yasuke, nommé ainsi en référence à un esclave africain qui, au XVIe siècle, devint samouraï au Japon, crée des connexions entre des thèmes chers aux vétérans phocéens : la mythologie égyptienne et la philosophi­e shaolin, qui donnent naissance à au moins deux titres, Omotesando et Yasuke, judicieuse­ment placés en ouverture. Pour le reste, et en dépit de quelques tentatives bien senties ( Le Train de l’argent et sa rythmique progressiv­e, Remember et son riff hérité de l’afrobeat), IAM adopte un ton plus classique avec ses scratchs, ses 16-mesures, son ton professora­l (“A tous les jeunes MC, mettez le plaisir d’abord”) et ses invités issus de l’ancienne école (saluons toutefois la reformatio­n inattendue des Psy4 de la Rime !). Impossible pour autant de parler de tics datés. Une fois l’écoute terminée, on se dit même que ça faisait bien longtemps que ces rap warriors n’avaient pas livré un disque d’une telle épaisseur.

Yasuke (Def Jam/Universal)

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