Les Inrockuptibles

Gloria mundi de Robert Guédiguian

Le cinéaste marseillai­s quitte l’Estaque pour la Joliette et en fait le théâtre d’un monde qui court à sa perte. Bouleversa­nt.

- Jean-Baptiste Morain

LE NOUVEAU FILM DE ROBERT GUÉDIGUIAN, après le magnifique

La Villa, est très sombre. Une fois de plus dans l’oeuvre du cinéaste, le récit se déroule à Marseille, mais nous sommes loin de l’Estaque. Ici, c’est la ville, avec ses rues vivantes, son trafic urbain. Nous sommes à La Joliette, l’un des quartiers les plus modernes de la ville. Le film débute par une naissance, celle de Gloria, la fille de Mathilda (Anaïs Demoustier), elle-même fille de Sylvie (Ariane Ascaride, récompensé­e pour ce rôle à la Mostra de Venise) et belle-fille de Richard (Jean-Pierre Darroussin). Car le père biologique de Mathilda, Daniel (Gérard Meylan), est absent depuis longtemps : il est en prison pour avoir tué un flic pendant un casse. Richard, qui est un bien brave homme, conducteur de bus de son métier, pousse Sylvie à annoncer à Daniel qu’il est désormais grand-père. Ce qu’elle fait.

Or le jour de la libération de Daniel arrive, et il revient à Marseille, sans volonté aucune de mettre le souk dans cette famille recomposée qui a vécu sans lui. Daniel, en prison, est devenu poète. Mais en arrivant à Marseille, il va aussi tomber sur une famille qui va mal. Les enfants se disputent ; la fille de Sylvie et Richard, Aurore (Lola Naymark) est maquée avec un petit entreprene­ur cocaïné sans scrupules, Bruno (Grégoire LeprinceRi­nguet). Mathilda est plus ou moins au chômage. Son copain (Robinson Stévenin) est devenu un chauffeur Uber et, un soir, se fait casser le bras par

des taxis. L’époque des solidarité­s a disparu, c’est chacun pour soi, et les deux demi-soeurs couchent avec le même homme… Là où l’on pourrait croire que Guédiguian ne s’en prend qu’à la jeunesse, il montre aussi que les parents, Richard et Sylvie, fatigués, n’ont plus la force de participer aux luttes collective­s. Sylvie refuse de faire grève. Daniel va alors essayer d’arranger les choses à sa façon, de réparer le mal qu’il a fait à Sylvie et à Mathilda en les laissant seules il y a des decénnies...

Sur le mode mélodramat­ique qui est le sien, Guédiguian décrit un monde qui va, ou même qui touche déjà, à sa perte. Un monde si perturbé que seul un homme providenti­el pourra le reconstrui­re. Mais l’amertume de Guédiguian demeure. Il cite souvent cette phrase de La Vie de Galilée de Brecht : “Malheur aux peuples qui ont besoin de héros”. Parce qu’avoir besoin d’un héros souligne l’incapacité d’un peuple à résoudre seul ses problèmes et le met à sa merci. C’est sur ce constat terrifiant, et un regard caméra qui nous regarde, nous spectateur­s, et nous interroge (Vous avez vu ? Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Ne pouvez-vous pas faire quelque chose, vous ?) que se clôt ce récit effrayant et bouleversa­nt.

Gloria Mundi de Robert Guédiguian (Fr., 2019, 1 h 47), avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet.

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Anaïs Demoustier

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