Les Inrockuptibles

A couteaux tirés de Rian Johnson

Un whodunit élégant et intelligen­t porté par un casting cinq étoiles.

- Jacky Goldberg

LA HANTISE DU SPOILER ATTEINT AVEC “À COUTEAUX TIRÉS” UN NOUVEAU PIC : les suppliques épistolair­es pré-projection (comme Quentin Tarantino le fit cette année à Cannes) ne suffisant plus, c’est désormais en incipit du film même que le cinéaste s’autorise, face caméra, à demander au spectateur de ne pas divulgâche­r ses sacro-saints twists… Si ceux-ci sont nombreux, et diablement effectifs, il est cependant une chose que ce brillant whodunit, genre auquel Agatha Christie a donné ses lettres de noblesse, se refuse de faire : attendre la fin pour révéler l’assassin. L’on sait en effet très vite, à l’issue du premier acte, qui a tué, et comment. Mais la réalité a toujours un double-fond, nous rappelle Rian Johnson sous influence Mankiewicz ( Le Limier), et savoir une chose ou deux n’empêche pas de passer à côté du reste – l’essentiel.

C’est donc sur cette idée qu’est construit A couteaux tirés, débutant sur la mort (suicidaire ou criminelle, that’s the question) d’un célèbre écrivain de romans à mystère (Christophe­r Plummer), le soir de ses 85 ans, dans son manoir que l’on croirait “dessiné pour une partie de Cluedo”, comme le souligne un personnage (le film regorge de ce genre de clins d’oeil méta), en présence de sa pléthoriqu­e famille. Interprété­s par une palanquée de stars (Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Chris Evans, Don Johnson, Toni Collette), les membres de cette famille vivent tous, d’une façon

ou d’une autre, au crochet du patriarche. Aussi, à l’inverse du dernier film de Bong Joon-ho, qui déroulait aussi sa charge anti-bourgeoise dans une maison-gigogne aux lambris pourris, les parasites sont ici les riches, et c’est la servante immigrée, une aide médicale à domicile interprété­e par l’excellente Ana de Armas (révélée dans Blade Runner 2049), qui apparaît rapidement comme la plus légitime auprès du vieil homme.

Visiblemen­t conscient des tendances arthritiqu­es du genre auquel il s’attaque, Rian Johnson – qui a écrit et tourné ce projet très vite, entre deux Star Wars

(le controvers­é Derniers Jedi, et une nouvelle trilogie en développem­ent) – s’emploie à le moderniser et à le pimper, non pas en le gonflant d’effets spéciaux ringards (à l’instar du Crime de l’Orient Express de Kenneth Branagh), mais en le politisant, et en l’agrémentan­t d’un salutaire suspense hitchcocki­en dans la deuxième partie, où la petite souris tente d’échapper aux griffes du chat policier (Daniel Craig, bizarremen­t casté en détective fat). En résulte un impeccable “divertisse­ment pour tous” qui, sans atteindre le sommet de son Looper, se distingue par son élégance et son intelligen­ce, au sein d’une industrie de plus en plus rétive à ce type de propositio­n.

A couteaux tirés de Rian Johnson, avec Ana de Armas, Daniel Craig, Christophe­r Plummer (E.-U., 2019, 2 h 10)

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