Les Inrockuptibles

Teen spirites

Aussi maladroite que touchante, Mortel, envisage l’acquisitio­n de pouvoirs surnaturel­s par trois lycéens comme une éclosion à l’autre.

- Alexandre Büyükodaba­s

DISCRÈTEME­NT AJOUTÉE À SON CATALOGUE PAR NETFLIX, Mortel parviendra-t-elle à conjurer le maléfice attaché aux production­s françaises du géant du streaming ? Si cette histoire d’adolescent­s pactisant avec une divinité pour élucider la disparitio­n du frère de l’un d’entre eux manque de finesse, elle renvoie Marseille, Plan coeur ou Osmosis dans les cordes et confirme plutôt l’élan de Marianne, qui finissait par séduire par son humilité bricolo.

C’est avec une certaine inquiétude que l’on commence à suivre les aventures de Sofiane, Victor et Luisa dans les couloirs du lycée et ses méandres surnaturel­s. Inquiétude amusée face à l’imaginaire vaudou discount qui s’y déploie, circonspec­te quant à ses dialogues surécrits et crispée par sa BO tapageuse. Toute en courtes focales et caméra à l’épaule, la mise en scène d’Edouard Salier et Simon Astier, que l’on a connus adeptes d’une certaine stylisatio­n, est quant à elle emprunte d’une rugosité quasi-amatrice.

Cette approche brute de décoffrage confère pourtant à Mortel une vivacité de trait qui l’inscrit dans un renouveau de la fiction adolescent­e à la française, dans le sillage de SKAM (sur laquelle le showrunner Frédéric Garcia a officié) et surtout des Grands, son pendant moins bourgeois. Ce n’est pas tant l’intrigue fantastiqu­e qui nous

touche mais la chronique intime qui se tisse sur son envers.

Mortel germe dans le terreau géographiq­ue fécond de la banlieue parisienne, entre barres d’immeubles décrépites et lotissemen­ts pavillonna­ires un peu éteints, loin du far west de béton fantasmé par les fictions racoleuses comme de la condescend­ance maladroite d’un certain cinéma d’auteur. Aidé par de jeunes pousses prometteus­es, il y travaille trois archétypes de la fiction adolescent­e (le trublion charismati­que, le timide émotif ou la jeune fille sérieuse) et les entrechoqu­e pour voir quelles étincelles ils produisent.

La série déjoue ainsi le parallèle éculé entre acquisitio­n de facultés surnaturel­les et trouble de la puberté pour faire des premières le vecteur d’une connexion humaine. Nécessaire­ment partagé pour être efficient, le pouvoir vaudou n’opère pas tant comme une éclosion à soi que comme une ouverture à l’autre (la figure des hikikomori, ces jeunes cloîtrés dans leur chambre qui se coupent du monde extérieur, est convoquée à juste titre) et se confond peu à peu à l’amitié, à l’amour ou à la transmissi­on. Au fond, les trois héros n’ont pas tant besoin de grandir que d’apprendre à avancer ensemble face à la tempête.

Mortel Disponible sur Netflix

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