Les Inrockuptibles

Le tourbillon de la vie

Avec ce roman graphique étourdissa­nt commencé il y a vingt ans, le Canadien SETH explore la vie d’une entreprise de ventilateu­rs mais aussi les pouvoirs de la narration.

- Vincent Brunner

IL Y A PLUSIEURS DÉCENNIES, LE DESSINATEU­R CANADIEN SETH

A LE REGARD ATTIRÉ PAR LA DEVANTURE DE CLYDE FANS, une entreprise qui vend des ventilateu­rs. A travers la vitrine, il entrevoit les portraits en noir et blanc de deux hommes d’âge moyen. Inspiré par ce qu’il perçoit comme “un monde autonome” où “le temps semblait s’écouler au ralenti”, il se met alors à imaginer la vie des individus qui y ont travaillé. Pendant vingt ans, il se consacre à cette histoire – une première partie est publiée en 2003 intitulée Le Commis voyageur – et à ses deux personnage­s principaux, les frères Matchcard. D’un côté, il y a Abraham, le commercial pragmatiqu­e, volage et misogyne, de l’autre, Simon, rêveur, introverti et asocial.

Long de près de cinq cents pages, jonglant avec les époques, le résultat final, grâce à une mise en scène virtuose, se révèle incroyable­ment émouvant, malgré le caractère antipathiq­ue d’Abraham. C’est pourtant avec lui que s’ouvre Clyde Fans : devant un auditoire invisible, tout en se levant et en se préparant pour la journée, l’homme d’affaires terre à terre se livre à un long monologue sur l’entreprise familiale qui, faute d’avoir su se moderniser, a périclité.

Après ce tour de force, sorte de planséquen­ce dessiné, Seth remonte le temps et expose les noeuds familiaux des Matchcard. Il utilise des détails graphiques – objets du quotidien, attraction­s d’un mini-golf visité la nuit ou la photograph­ie d’un phare dans une chambre d’hôtel – comme des motifs qu’il répète pour mieux nous plonger dans le paysage mental, délabré et mélancoliq­ue, des protagonis­tes.

La personnali­té névrotique de Simon se prête bien à ce tourbillon chaotique de souvenirs, lui qui collection­ne les cartes postales loufoques, parle à des poupées et cherche à briser le “mur du temps” pour retrouver les illusions du passé. Dans les dernières pages, l’auteur canadien au trait volontaire­ment fifties nous fait circuler entre les silhouette­s des immeubles et les rues pour déboucher sur une maison abandonnée, symbole de la vi(ll)e disparue dont il a inventé la nécrologie.

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 ??  ?? Clyde Fans (Delcourt), traduit de l’anglais (Canada) par Lauren Triou, 488 p., 49,90 €
Clyde Fans (Delcourt), traduit de l’anglais (Canada) par Lauren Triou, 488 p., 49,90 €

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