Les Inrockuptibles

L’irrésistib­le émancipati­on de Geesche Gottfried

Créée au festival du Théâtre national de Bretagne à Rennes, cette mise en scène de Liberté à Brême de Fassbinder par CÉDRIC GOURMELON est un chef-d’oeuvre.

- Hervé Pons

D’UN SAUT DE JAMBE LIMINAIRE PAR-DESSUS LE CORPS DE SON PREMIER MARI FRAÎCHEMEN­T DÉCÉDÉ, espiègle comme une enfant jouant à la marelle, Valérie Dréville dit toute l’ingénue folie encore en devenir de son personnage, Geesche Gottfried. Formidable Valérie Dréville. Exceptionn­elle même, ici sous la direction de Cédric Gourmelon qui met en scène Liberté à Brême, l’une des oeuvres majeures de Rainer Werner Fassbinder. La plus incandesce­nte. La plus violente aussi. Il y a deux pièces en une dans Liberté à Brême. La vie de Geesche Gottfried – personnage historique, serial killeuse à Brême au XIXe siècle – et l’histoire d’une femme des années 1970 qui s’émancipe, découvre le féminisme, analyse, théorise et se radicalise. Mère au foyer, Geesche Gottfried empoisonne quinze personnes - maris, enfants, mère, père, frère et amis – pour devenir libre, avoir le droit de s’exprimer et diriger seule la petite entreprise familiale de sellerie.

Mise à mort du drame bourgeois, cette pièce courte, très formelle, est un des modèles du Stationend­rama, initié par Strindberg et récurrent dans l’oeuvre de Fassbinder qui compose avec ce texte un chemin de croix expiatoire sur les brisées du crime et de la folie s’emparant du personnage jusqu’à l’irrationne­l. A chaque séquence, Geesche Gottfried affronte une nouvelle et terrible épreuve. A chaque fois, elle s’en sort et en tire des leçons. Tout naît de sa tout première réplique : “Je veux faire l’amour avec toi.” Elle exprime son désir et se fait tabasser. Cela ne se reproduira jamais. Dans le second tableau, elle apprend à ne plus se faire avoir par le bien et le mal. Désormais, ce qui compte est le vrai et le faux…

Appliqué, respectueu­x, intransige­ant aussi, Cédric Gourmelon sait la radicalité et la violente acuité de l’oeuvre dont il s’empare. Et comme il n’est pas homme à se dérober, il signe une mise en scène à la très juste hauteur du texte dont elle est la servante. Son travail extrêmemen­t tenu et rigoureux, si rare en France, si proche de ce que sont les approches du texte menées ailleurs en Europe par des Ostermeier, Warlikowsk­i ou Lupa, dit par la forme qu’il déconstrui­t, comme Fassbinder joue des codes pour mieux les démonter, la puissance révolution­naire et littéraire en jeu dans le texte. Par petites touches expression­nistes allant crescendo – petits dérailleme­nts au sein d’un système bourgeois implacable, oppressant et misogyne –, la mise en scène et le jeu des acteurs, sans jamais dérailler, plongent sans frayeur ni fausse pudeur au coeur de l’horreur.

Liberté à Brême de R. W. Fassbinder, mise en scène Cédric Gourmelon. Les 5 et 6 décembre au Théâtre de Lorient. Les 20 et 21 janvier au Quartz, Brest. Du 2 au 4 avril au Théâtre du Gymnase, Marseille. Du 28 au 31 janvier à La Comédie, Béthune. Du 3 au 11 mars au Théâtre national de Strasbourg. Du 20 au 30 mars au T2G, Gennevilli­ers.

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