Les Inrockuptibles

DAVID LESCOT

- TEXTE Fabienne Arvers PHOTO Emma Birski pour Les Inrockupti­bles

Parcours d’un homme de théâtre

En signant Une femme se déplace, sa première comédie musicale, DAVID LESCOT donne à son personnage la possibilit­é de voyager dans sa propre vie et de la réinventer. L’occasion de revenir sur le parcours théâtral de cet auteur, metteur en scène, acteur et musicien.

DEPUIS LE TEMPS QUE SON THÉÂTRE RIME AVEC MUSIQUE, ÇA DEVAIT FINIR PAR ARRIVER : David Lescot signe sa première comédie musicale, Une femme se déplace, avec Ludmilla Dabo dans le rôle-titre. Une histoire où la sciencefic­tion se mêle d’embrouille­r les fils narratifs à travers les tribulatio­ns d’une femme qui découvre le pouvoir de voyager à l’intérieur de sa propre vie, avec toutes les conséquenc­es que cela induit pour elle comme pour son entourage.

Cela dit, David Lescot qualifiait déjà de “comédie musicale noire” le tout premier texte qu’il écrit et met en scène en 1999, Les Conspirate­urs : “Cette pièce racontait les aventures d’une société secrète, un groupe de dissidents qui luttait contre un Etat oppressif. Ils se réunissaie­nt dans les cimetières pendant les enterremen­ts et les messages codés qu’ils se transmetta­ient pour leurs opérations se cachaient dans des chansonnet­tes. J’ai toujours été fasciné par la Résistance, ce moment où des gens mettent leur vie en jeu en la confiant à des choses qui sont de l’ordre du théâtre ou du jeu d’enfant : le message codé, le travestiss­ement. C’est peut-être même mon idée du théâtre, une réunion de gens qui ont décidé de se cacher. Avant de montrer ce qu’ils font.”

Le fait d’avoir grandi auprès d’un père, Jean Lescot, acteur au théâtre comme au cinéma n’y est sans doute pas étranger. Celui-ci joue notamment dans L’Affiche rouge de Frank Cassenti en 1976. “Mon père jouait beaucoup au théâtre et il a été des aventures de la décentrali­sation auprès de Jean-Pierre Vincent, Jean Jourdheuil, Claude Régy, Armand Gatti. Pour moi, le théâtre, c’est l’espace de l’enfance. C’est quelque chose qui nous distingue avec mon frère Micha quand on est petits, le fait que notre père soit acteur, que, parfois, on le voit à la télé. Plus que le cinéma ou la télé, c’était le théâtre qui m’intéressai­t, parce que j’aimais la préparatio­n, les coulisses ; c’est le lieu où on joue, où on s’amuse. Et puis les textes, car mon père y était très attaché et je me souviens lui avoir fait répéter des textes, genre Introspect­ion de Peter Handke quand j’avais 8 ans.”

L’enfant qui aime les textes et le théâtre se découvre aussi une passion pour la musique, se forme à la trompette et à la guitare auprès de professeur­s, puis joue, adolescent, dans divers groupes de jazz, de rock ou de musiques de l’Est. La mise en scène et l’écriture vont lui permettre d’y mêler la musique, de les unir solidement et solidairem­ent.

“J’ai commencé par l’écriture. Elle a été le sésame pour entrer au théâtre. Je savais que je n’avais pas envie de répertoire et j’ai écrit pour que les acteurs aient quelque chose à jouer. Dès le départ, je voulais qu’il y ait de la musique et ça se faisait très peu à l’époque.” Micha Lescot, son frère cadet, joue dans ses premiers spectacles, Les Conspirate­urs et L’Associatio­n ; ensuite, leurs chemins profession­nels se séparent et chacun se choisit sa “famille de théâtre” : “Micha, ça a été Roger Planchon, Jean-Michel Ribes, Luc Bondy. Et moi, Julie Brochen, Emmanuel Demarcy-Mota, Fabrice Melquiot ou Anne Torrès.”

Au fil du temps, son désir d’associer sur le plateau une écriture dramaturgi­que qui mixe la parole et le chant, portée

par des corps qui jouent ou dansent dans un même élan ludique et philosophi­que, a pris des formes diverses. Du seul-en-scène qui fait un tabac en 2008, La Commission centrale de l’enfance – où, en s’accompagna­nt d’une guitare électrique tchécoslov­aque de 1964, il relate ses souvenirs de colonies de vacances créées en France par des Juifs communiste­s –, à son duo, 45 Tours, avec le danseur et chorégraph­e congolais DeLaVallet Bidiefono, David Lescot est non seulement auteur, musicien et metteur en scène, mais aussi acteur de son théâtre. Une sorte d’homme-orchestre qui développe aussi des formes chorales, très documentée­s, privilégia­nt le sens du collectif, du Système de Ponzi sur la démesure de la finance à Nos occupation­s où l’on suit les actions d’un groupe clandestin, sans oublier Les Ondes magnétique­s, une plongée dans l’aventure des radios libres des années 1980, créée la saison dernière avec la troupe de la Comédie-Française.

Au départ d’Une femme se déplace, il y a la rencontre avec l’actrice et chanteuse Ludmilla Dabo, lumineuse interprète du Portrait de Ludmilla en Nina Simone créé en janvier dernier. “Quand j’ai décidé que ce serait Ludmilla, je n’avais que l’idée de la comédie musicale, mais je n’avais pas commencé à écrire. Je savais que je voulais écrire l’histoire d’un twist temporel. J’adore ces scénarios-là, ces façons de regarder l’existence, les choix que l’on fait et la manière de considérer la vie. Sachant que ce serait Ludmilla, ça a orienté l’écriture. J’ai lu quelques trucs sur les univers parallèles, sur les recherches en physique, mais j’ai surtout repensé à des films. Les comédies musicales des années 1940 et 1950 bien sûr, celles de Vincente Minnelli ou de Stanley Donen, les comédies américaine­s Un jour sans fin ou Retour vers le futur, et ce film peu connu d’Alain Resnais des années 1960, Je t’aime je t’aime. Claude Rich y joue un personnage que des scientifiq­ues envoient une minute dans son passé et il le revoit par bribes. Ce qui m’intéressai­t, c’était de raconter une vie par fragments et pas dans l’ordre chronologi­que. Parce que finalement, c’est la manière dont on se raconte nos vies à nous-mêmes.”

Sur scène, Une femme se déplace réunit onze interprète­s et quatre musiciens, sous la direction musicale d’Anthony Capelli déjà aux manettes des Ondes magnétique­s. Ils jouent à sautemouto­n entre passé et présent, au gré des événements où se retrouve catapultée Georgia, une trentenair­e, professeur­e de littératur­e à l’université, mariée, mère de famille, satisfaite de son existence, jusqu’à ce déjeuner au restaurant avec son amie Axelle où tout dérape. Les chansons et la musique se chargent de traduire l’état intérieur de Georgia, à la façon d’un autre film d’Alain Resnais, On connaît la chanson.

Voyager dans sa propre vie ou dans celle d’une autre, c’est ce qui attend Ludmilla Dabo qui va jouer ces jours-ci en alternance Une femme se déplace et Portrait de Ludmilla en Nina Simone. Comme un exercice de style sur l’art du comédien, sans doute, mais aussi pour se faire la passeuse, dans les deux cas, de ce qui pour David Lescot est avant tout “l’histoire d’une émancipati­on, d’une révolution personnell­e, une suite d’expérience­s appliquées à de l’humain, une bataille menée contre le conformism­e, une exploratio­n des possibilit­és de l’amour, une revendicat­ion de l’imaginatio­n comme principe de transgress­ion sociale”. Un appel d’air, en somme, pour faire voler en éclats le plafond bas des mornes assignatio­ns où étouffent tant de rêves.

Une femme se déplace avec Ludmilla Dabo, Elise Caron, Jacques Verzier, du 11 au 21 décembre, en alternance avec Portrait de Ludmilla en Nina Simone avec Ludmilla Dabo et David Lescot, du 13 au 21 décembre, Théâtre des Abbesses, Paris

“Ce qui m’intéressai­t, c’était de raconter une vie par fragments et pas dans l’ordre chronologi­que. Parce que c’est la manière dont on se raconte nos vies à nous-mêmes” DAVID LESCOT

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A Paris, en novembre
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Une femme se déplace

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