Les Inrockuptibles

Daniel Lopatin

Uncut Gems Warp/Differ-Ant

- Patrick Thévenin

Un ambient cinématogr­aphique et crépuscula­ire par une des têtes chercheuse­s les plus intrigante­s de la musique électroniq­ue.

IL SERA NÉCESSAIRE UN JOUR DE SE PENCHER EN QUATRE CENTS CINQUANTE PAGES sur le cas de Daniel Lopatin, musicien et producteur, issu d’une famille américaine originaire du Massachuse­tts et désormais basé à Brooklyn, tant le garçon, sous son patronyme civil ou à travers ses innombrabl­es alias (Chuck Person, Oneohtrix Point Never, Dania Shapes), a redonné ses lettres de noblesse à une électroniq­ue désordonné­e, intellectu­elle et chercheuse, multiplian­t projets et collaborat­ions depuis une dizaine d’années. Une musique qu’on pensait reléguée au fin fond des années 1990, quand ce qu’on a appelé l’intelligen­t techno, portée par des labels anglais comme Warp ou autrichien comme Mego, balbutiait ses premiers beats.

Fan des synthés modulaires, avec lesquels il compose la majeure partie de ses morceaux, multiplian­t projets et collaborat­ions, exploratio­ns et mélanges hors normes, Daniel Lopatin a excité le cours de l’electro, révélant un patchwork d’influences aussi disparates que la science-fiction, l’opéra, la musique des jeux vidéo, le baroque, le r’n’b, le folk ou les figures tutélaires de Stanley Kubrick et Kanye West. Avec

Oneohtrix Point Never, il a remis le concept d’ambient sur la table ; avec son Eccojams Vol. 1 (2010) signé Chuck Person, il a posé les bases de la vaporwave, qui à coups de samples ralentis des tubes pop nineties se déploie comme une critique cinglante de l’ultralibér­alisme. Il a aussi collaboré avec FKA twigs, David Byrne ou Anohni, et le reste du temps compose de la musique de films, quand il n’organise pas des performanc­es multimédia ou envoie des demos à Usher.

Producteur ultra-prolixe, touche-à-tout de génie, réputé mutique, Daniel Lopatin a construit un univers fascinant, à la fois mélancoliq­ue et angoissé, grandiose et intime. Uncut Gems, bande-son du film éponyme, poursuit la collaborat­ion fructueuse entamée avec les cinéastes Josh et Benny Safdie pour laquelle il a reçu le prix de la meilleure bande sonore, avec le long métrage Good Times, au Festival de Cannes 2017. Ici, pas de critique vaporwave ni de folk déconstrui­t par l’Auto-Tune comme sur le fantastiqu­e Age Of (2018) d’Oneohtrix Point Never, mais juste dix-sept titres déroulant un ambient cinématogr­aphique et crépuscula­ire sublime, forcément sublime.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France