Daniel Lopatin
Uncut Gems Warp/Differ-Ant
Un ambient cinématographique et crépusculaire par une des têtes chercheuses les plus intrigantes de la musique électronique.
IL SERA NÉCESSAIRE UN JOUR DE SE PENCHER EN QUATRE CENTS CINQUANTE PAGES sur le cas de Daniel Lopatin, musicien et producteur, issu d’une famille américaine originaire du Massachusetts et désormais basé à Brooklyn, tant le garçon, sous son patronyme civil ou à travers ses innombrables alias (Chuck Person, Oneohtrix Point Never, Dania Shapes), a redonné ses lettres de noblesse à une électronique désordonnée, intellectuelle et chercheuse, multipliant projets et collaborations depuis une dizaine d’années. Une musique qu’on pensait reléguée au fin fond des années 1990, quand ce qu’on a appelé l’intelligent techno, portée par des labels anglais comme Warp ou autrichien comme Mego, balbutiait ses premiers beats.
Fan des synthés modulaires, avec lesquels il compose la majeure partie de ses morceaux, multipliant projets et collaborations, explorations et mélanges hors normes, Daniel Lopatin a excité le cours de l’electro, révélant un patchwork d’influences aussi disparates que la science-fiction, l’opéra, la musique des jeux vidéo, le baroque, le r’n’b, le folk ou les figures tutélaires de Stanley Kubrick et Kanye West. Avec
Oneohtrix Point Never, il a remis le concept d’ambient sur la table ; avec son Eccojams Vol. 1 (2010) signé Chuck Person, il a posé les bases de la vaporwave, qui à coups de samples ralentis des tubes pop nineties se déploie comme une critique cinglante de l’ultralibéralisme. Il a aussi collaboré avec FKA twigs, David Byrne ou Anohni, et le reste du temps compose de la musique de films, quand il n’organise pas des performances multimédia ou envoie des demos à Usher.
Producteur ultra-prolixe, touche-à-tout de génie, réputé mutique, Daniel Lopatin a construit un univers fascinant, à la fois mélancolique et angoissé, grandiose et intime. Uncut Gems, bande-son du film éponyme, poursuit la collaboration fructueuse entamée avec les cinéastes Josh et Benny Safdie pour laquelle il a reçu le prix de la meilleure bande sonore, avec le long métrage Good Times, au Festival de Cannes 2017. Ici, pas de critique vaporwave ni de folk déconstruit par l’Auto-Tune comme sur le fantastique Age Of (2018) d’Oneohtrix Point Never, mais juste dix-sept titres déroulant un ambient cinématographique et crépusculaire sublime, forcément sublime.