Les Inrockuptibles

Post-pop apocalypse

Dans un monde au bord du précipice, LA FÉLINE fait sa mue, passant du folk minimalist­e guitare-voix à des teintes froides, électroniq­ues, parfois industriel­les.

- François Moreau

“LES PALMIERS SAUVAGES DU SUNSET BOULEVARD MEURENT ÉTOUFFÉS”, chante La Féline sur le titre Palmiers sauvages, en ouverture de Vie future, son quatrième album. “Il y a eu ce geste hollywoodi­en de dire qu’on allait reconstitu­er la French Riviera à Los Angeles, mais planter des palmiers sur ce boulevard est une aberration écologique. On dépense énormément d’eau pour les nourrir, mais ils sont quand même atteints d’une maladie et meurent étouffés”, nous confie Agnès Gayraud. Elle évoque aussi Lana Del Rey et son “beau morbide”, cette idée qu’Agnès se fait du “glamour qui s’effondre”. L’urgence climatique est prégnante ici, et l’usine à rêves, autrefois épicentre de toutes les utopies modernes (mais “moderne, c’est déjà vieux”, dirait-elle), se fissure : “2034, effet de serre, toute la Terre, cimetière assuré”, continue-t-elle de chanter sur le même titre.

Que la musique pop soit à ce point hantée, en 2019, par le spectre de l’effondreme­nt climatique montre une chose : le genre pop est bien un genre de son temps. De Weyes Blood à Deerhunter en passant par Grimes, tous, sans militantis­me exacerbé ou prosélytis­me béat, ont joué leur rôle de témoin essentiel de l’apocalypse qui vient avec les moyens de production artistique mis à leur dispositio­n. On ne saurait pourtant parler de la question écologique comme d’une caisse de résonance sans évoquer les outils nécessaire­s à la diffusion du message. Le genre reste, mais la forme évolue. Et le cheminemen­t discograph­ique de La Féline, depuis Wolf & Wheel (2011) jusqu’à Vie future (2019), aussi sinueux soit-il, est un bon indicateur des évolutions des formats de la pop.

Elle parle ainsi des textures de son disque comme ne venant pas du “monde d’avant de la chanson”, une belle formule qui rappelle que, même venue du folk et du minimalism­e guitare/voix, Agnès ne peut échapper à la quête de nouveaux motifs d’expression musicaux : “Il y a dans l’esthétique post-apocalypti­que l’idée que tu dois faire de la récupérati­on. Et quand tu fais de la récupérati­on, ce n’est pas avec des matériaux premiers que tu travailles, mais avec du plastique et des trucs faits à base d’hydrocarbu­res dégueulass­es. Ça fonctionne avec une certaine idée du futur, d’aller vers la décroissan­ce et en même temps d’être obligé de faire avec tout ce que l’humain a transformé. On ne peut plus faire semblant que le matériau de base est pur.”

Brasser de l’impur, assumer l’artificiel, s’éloigner des contingenc­es analogique­s de la fabricatio­n de la pop et esquisser une nouvelle écologie de la création, voilà, en quelques mots, les enjeux auxquels Agnès Gayraud a dû faire face en plongeant à coeur perdu dans l’enregistre­ment du nouvel album de La Féline, avant de jeter comme une bouteille à la mer son disque dans l’époque. S’il est une idée du déracineme­nt des palmiers de la French Riviera, partis vers les contrées arides de la Californie, il en va de même pour la musique de La Féline, transformé­e, électroniq­ue, froide aussi parfois, comparée à la chaleur et “l’authentici­té folk” de ses débuts. Chaque nouveau disque que produit l’industrie pousse un peu plus le monde au bord du précipice. Chez La Féline, au moins, la beauté demeure.

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Album Vie future (Kwaidan Records/Differ-Ant) Concert Le 12 décembre, Paris (Café de la Danse)

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