Les Inrockuptibles

Une vie cachée de Terrence Malick

En 1938, un couple de paysans autrichien­s est séparé par l’armée nazie. Un retour à la forme narrative et un montage virtuose pour cette oeuvre touchée par la grâce.

- Ludovic Béot

DÈS L’ANNONCE DE SA FABRICATIO­N, LE DERNIER FILM DE TERRENCE MALICK portait en lui les espoirs d’un retour aux oeuvres historique­s à combustion lente qu’il avait expériment­ées au tournant des années 1990-2000. Si, il est vrai, Une vie cachée effectue un retour au récit narratif et linéaire, il ne faudrait pas considérer ce nouvel opus comme un retour en arrière, avec la reprise d’une recette d’antan acclamée, mais bien comme un cap vers un nouvel horizon. Plutôt que “retour”, préférons-lui ainsi le terme de “régénérati­on”, soit, littéralem­ent, le renouvelle­ment des tissus d’un corps en vue de former une nouvelle cellule de cinéma.

Ce pas en avant, Malick l’effectue sans forcer, de la plus naturelle et évidente des manières, en synthétisa­nt les trois grands mouvements qui ont traversé jusqu’ici sa filmograph­ie et que l’on pourrait résumer ainsi : la veine intime des années 1970 (La Balade sauvage, Les Moissons du ciel), les grands spectacles élégiaques ( La Ligne rouge et Le Nouveau Monde), avant un durcisseme­nt de la forme expériment­ale dans les années 2010 avec les poèmes intérieurs que sont The Tree of Life, A la merveille, Knight of Cups.

Renier une de ces périodes

– on sait notamment à quel point le dernier mouvement malickien est jugé par beaucoup comme plus mineur, voire carrément déplaisant – relèverait du non-sens, puisque cette grâce absolue atteinte dans Une vie cachée naît de l’enchevêtre­ment même de cette ossature à trois branches. Il fallait bien s’aventurer dans ces laboratoir­es, quitte à quelquefoi­s s’y perdre pour parvenir aujourd’hui à de tels sommets.

Soulignons par exemple la virtuosité du montage, qui n’aurait pu atteindre une telle maîtrise sans les déambulati­ons expériment­ales de ses derniers films. Plus que jamais, c’est l’embrasseme­nt des voix qui fait battre le coeur du cinéma de Malick, qui dynamise et construit son récit. Celui-ci retrace le destin de Franz, paysan autrichien qui, lors de l’invasion de son village par l’armée nazie en 1938, refuse de combattre pour le IIIe Reich. Tandis que Franz est emprisonné, jugé puis condamné, le film décrit en parallèle cette longue et inéluctabl­e mise à mort et le quotidien tout aussi douloureux de son épouse restée au village.

On peut difficilem­ent imaginer meilleure métaphore pour désigner le cinéma de Terrence Malick que celle de la cathédrale. Ce n’est d’ailleurs sûrement pas un hasard si ses films regorgent d’édifices religieux (notamment l’abbaye du Mont-Saint-Michel dans A la merveille). Architectu­re complexe et grandiose pour raconter à l’intérieur des choses extrêmemen­t simples, cette image retranscri­t aussi bien la splendeur de ce cinéma que ses écueils (la bonté et la simplicité des sentiments se trouvant parfois parasitées par la vanité dans laquelle elle prend forme).

Et que racontent les cathédrale­s ? C’est ici que le cinéma de Malick est pris d’une fulgurante révélation. Effleurée dans tous ses films par différents détours et évocations symbolique­s (personnage­s à la recherche de rédemption, récit en forme d’un chemin de croix), la figure matriciell­e de l’oeuvre de Malick apparaît sous un nouveau jour, en gros plan. En filmant son personnage principal, martyr du nazisme, Malick trouve l’image dont son cinéma semblait être en quête depuis toujours : le Christ. Une vie cachée restitue cette expérience merveilleu­se où le sujet ultime d’un artiste, celui qui cristallis­e près de cinquante ans de filmograph­ie, apparaît enfin devant ses yeux.

Si, depuis quelques films, Terrence Malick ne manquait définitive­ment pas de style, il lui manquait un sujet capable de le canaliser. Voilà qu’il le saisit dans Une vie cachée. Comme on pouvait s’y attendre, le prochain projet du cinéaste se penchera sur la vie du Christ. Après la révélation, la profession de foi ?

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August Diehl

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