Terra incognita
Avec La Main verte, adaptation d’un texte d’Edith Zha, NICOLE CLAVELOUX imaginait dans les années 1970 une histoire fantasmagorique qui a conservé toute son étrangeté.
GUIDE AU MUSÉE GRÉVIN, UNE FEMME PARTAGE SA VIE AVEC UN OISEAU DÉPRESSIF À TAILLE HUMAINE – il passe ses journées à regarder par la fenêtre avec mélancolie. Sont-ils colocataires, simples amis ou amants ? Rien ne semble évident. Un jour, elle apporte à l’appartement une plante… Malgré ce point de départ plutôt simple,
La Main verte ne se laisse pas appréhender facilement avec son intrigue aux allures d’anguille psychédélique.
Chapitre après chapitre, on risque de se perdre dans des paysages à la végétation délirante ou des palais immenses. Chaque porte réserve son lot de surprises – culte étrange, inquiétant amour fusionnel –, jusqu’au détour final par un terrain vague occupé par une foule (!). Si on peut y trouver une filiation avec le peintre Jérôme Bosch, l’univers fantastique de Nicole Claveloux, adaptant ici un texte d’Edith Zha, ne ressemble à rien de connu.
Avec leur sens des couleurs très personnel et une construction onirique des planches, ses bandes dessinées échappent à toute grille de lecture trop autoritaire depuis plus de quarante ans. La Main verte a en effet été publiée en feuilleton hallucinogène à partir de 1976 dans le magazine Métal hurlant, alors vaisseau impérial de la science-fiction internationale. Due à une dessinatrice venant de la presse jeunesse (pour qui elle avait créé la série Grabote), l’histoire tranchait déjà pas mal avec le reste de la revue pour adultes, pourtant ouverte aux expérimentations.
Touchée par l’ange du bizarre et bénéficiant des talents de plasticienne de Claveloux, cette Main verte n’a rien perdu de ses charmes singuliers et, au contraire, semble aussi fraîche qu’à la première heure. Cette réédition propose, en plus, des récits courts tout aussi sidérants et datant de la même époque.
Ces parodies vachardes de contes publiées dans la revue féministe Ah ! Nana et des hommages à H. P. Lovecraft ou Moebius prouvent que, quels que soient le format ou la pagination, Claveloux était ailleurs, en marge. Une alléchante rétrospective au prochain Festival d’Angoulême se chargera également de le rappeler.