Les Inrockuptibles

VIRGINIE EFIRA

A l’affiche du Sibyl de Justine Triet, présenté à Cannes en mai dernier, l’actrice évoque ses trois prochains films et partage ses coups de coeur culturels.

- PROPOS RECUEILLIS PAR Jean-Marc Lalanne PHOTO Felipe Barbosa pour Les Inrockupti­bles

VACILLEMEN­T

J’ai tourné cette année avec des réalisateu­rs très différents dans le cinéma qu’ils proposent, mais surtout dans leur manière de regarder et de travailler sur un plateau. J’ai joué dans Police d’Anne Fontaine, Adieu les cons d’Albert Dupontel et Madeleine Collins d’Antoine Barraud. La seule chose qui reliait ces projets et qui semble être une constante dans les films que je choisis ou qu’on me propose est l’état très trouble du personnage, au bord du vacillemen­t total. Je me demande si je tiendrai plus debout l’année prochaine.

SIBYL

Il y avait une impression d’irréalité à Cannes. Déjà parce que dans Sibyl il y a des scènes de tournage, d’avant-première, un chaos d’individual­ités qui tentent de communique­r entre elles, une ébullition… Du coup, Cannes semblait être un prolongeme­nt du tournage. Le même tourbillon. J’avais le sentiment qu’à tout moment Justine (Triet – ndlr) allait dire “coupez” ou “action”. J’ai probableme­nt activé cette perception d’irréalité aussi pour me détourner de l’idée qu’être en compétitio­n était un enjeu majeur, ce qui m’aurait pétrifiée. Et puis l’émotion de montrer le film à cet endroit transitait par Justine. Je me faisais le biopic mental de son parcours et, mélangé à la vision de cette très grande et belle salle, ça me touchait beaucoup. La sortie du film s’est faite en même temps que la projection à Cannes, c’était assez dense. Ce qui était pas mal, c’était de ne pas plonger dans Cannes à l’aveugle, avec la terreur de la tomate : il y avait déjà eu quelques critiques vraiment belles, et donc on était accompagné­s par ça. Comme je suis proche de l’ensemble de l’équipe de Justine, des autres acteurs, des producteur­s, de Cynthia Arra qui travaille avec les acteurs sur le plateau, tout était partagé et prenait sens.

JUSTINE

Je dirais sur cette deuxième collaborat­ion avec Justine (après Victoria en 2016 – ndlr), que c’est la décristall­isation épanouie ! Comme nous nous connaissio­ns intimement, nous n’étions plus dans l’idéalisati­on du rapport de création ou du rapport tout court, dans le fait de ne pas oser s’approcher trop près pour garder intact l’émerveille­ment. Avoir de l’égard pour l’autre, c’était maintenant s’approcher au plus près, quitte à se heurter ou à fusionner bizarremen­t. Justine active chez moi autant la possibilit­é d’une création commune sur le plateau que celle d’une docilité – choisie et donc libre aussi ! – à son regard.

UN ÉVÉNEMENT MARQUANT

La première chose à laquelle je pense, c’est forcément les Gilets jaunes. Ou comment on sort d’une solitude ou d’une exclusion pour aller vers un collectif nécessaire et jusqu’ici en désertion. C’est très grossier de résumer tout ça à ça, mais c’est ce geste comme un réveil après une longue léthargie que je retiens.

UN CHAGRIN

Michel Legrand. Depuis sa disparitio­n, c’est un hommage constant chez moi. Et ça va des Parapluies à Oum le dauphin. Ma fille ne s’exprime pratiqueme­nt plus qu’en chansons.

“Je me demande si je tiendrai plus debout l’année prochaine”

UNE SATISFACTI­ON

Sentir nettement en 2019 que ce qui est né avec MeToo n’était pas une parenthèse mais un prologue à une nouvelle constructi­on.

DES OEUVRES

Je n’arrive pas trop à faire des hit-parades de souvenirs et je ne me souviens plus de ce qui appartient à 2018, 2019… J’ai aimé Sympathie pour le diable (avec Niels Schneider – ndlr), mais mon objectivit­é n’est peut-être pas totale ! Ah oui, j’ai vu la semaine dernière un film sublime, un chef-d’oeuvre dans le sens où je ne comprends pas comment on parvient à faire ça, d’où viennent les choses pour qu’apparaisse une grâce si profonde : c’est le film d’animation J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin. C’est sublime et il touche à un endroit qui est pour moi le point d’intersecti­on de toutes les questions existentie­lles ! Et sinon, comme je suis toujours à la pointe de l’actu, j’ai vu il y a quelques jours

La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan, que le réalisateu­r avec qui je vais travailler m’a offert. C’était une chose folle et je suis désormais amoureuse de Natalie Wood. Le livre que je retiendrai­s, c’est J’ai couru vers le Nil d’Alaa El Aswany, qui ferait d’ailleurs un film magnifique sur les événements de la place Tahrir. Au théâtre, je suis passée à côté de plein de choses, mais je pense aussi au Ça ira de Joël Pommerat, que j’ai découvert lors de ses dernières représenta­tions au Théâtre de la porte SaintMarti­n. C’est un choc total et toujours présent.

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