Label épique
Trente ans d’expérimentations et de morceaux mythiques ou inédits compilés en dix vinyles : c’est le beau cadeau de WARP, légendaire maison de disques de Sheffield qui révolutionna la musique électronique.
L’ÉTÉ DERNIER, WARP, VÉTÉRAN DES LABELS ANGLAIS ELECTRO, FÊTAIT TRENTE ANNÉES de bons et loyaux services au profit de la musique post-expérimentale en prenant les rênes de la radio anglaise NTS. Trois jours de sessions live regroupées sous le nom de code WXAXRXP où se bousculaient signatures légendaires du label et talents en devenir, ainsi que des invités très spéciaux qui avaient répondu présents, comme Death Grips, Ryūichi Sakamoto ou Brian Eno. Plus de cent heures de radiodiffusion, dans lesquelles Warp a décidé de piocher mais pas que, pour fêter son anniversaire.
Formé en 1989 à Sheffield par deux disquaires, Steve Beckett et Rob Mitchell, accompagnés du producteur Robert Gordon, Warp se positionne en pleine explosion acid house sans jamais perdre de vue le passé industriel de la ville et ses dérivations electro-funk (Cabaret Voltaire, Heaven 17, The Human League). Les premiers tubes du label – signés Sweet Exorcist, Forgemasters ou LFO –, en lançant la vague du bleep, agrémentés d’infrabasses à dynamiter les baffles, d’emprunts au dub jamaïcain et parsemés de boucles acid, sont le parfait accompagnement des fêtes sauvages qui se multiplient dans le pays, la plus belle réponse à la house et à la techno américaines, mais aussi le terreau idéal sur lequel vont se développer le breakbeat, le trip-hop, la drum’n’bass, le UK Garage jusqu’au dubstep actuel.
Trente ans après sa naissance, Warp est un label dont la discographie et les têtes d’affiche filent toujours le tournis et qui reste les oreilles grandes ouvertes aux mutations, ramifications et hybridations incessantes des musiques électroniques, de l’intelligent techno de ses débuts à sa période rock hybride des années 2000 (!!!, Grizzly Bear, Battles) jusqu’au plongeon actuel dans les mutations du hip-hop ou du r’n’b avec des artistes comme Kelela, Oneohtrix Point Never ou Flying Lotus.
Dans un catalogue aussi vaste, où les contraires se rassemblent et parfois s’assemblent, où les sorties du label dessinent une histoire de la club culture mondiale, où les stars comme Aphex Twin côtoient les oubliées telle Leila Arab, difficile de dresser le bilan de trente ans d’activité. Histoire sans doute d’éviter les hagiographies fastidieuses, Warp a décidé de sélectionner dix artistes phares et d’en publier des sessions radio le plus souvent inédites. Avec une Peel Session signée LFO − et ses quatre inédits en forme de brouillon de l’album Frequencies de 1991 (considéré à juste raison comme un des plus influents de la techno) −, Slo Bird Whistle, titre rare et mythique d’Aphex Twin accompagné de XYZ, sublime inédit de Boards Of Canada, les dernières expérimentations post-ambient de Oneohtrix Point Never, la pop désorientée de Bibio ou le jazz-funk de Flying Lotus entouré (avec Thundercat, Miguel Atwood-Ferguson et Ravi Coltrane) d’un ensemble de génie, WXAXRXP déroule en dix vinyles dix sessions live fantasmatiques, qui plongent du côté le plus electro (dans le sens de tête chercheuse) du label. Son ADN de base en quelque sorte, comme une manière de rendre hommage aux pionniers, sans qui Warp ne serait pas la référence qu’il est devenu. Mais aussi de se rappeler à la mémoire des fans de la première heure.