Les Inrockuptibles

Ghost Tropic de Bas Devos

Un voyage en lévitation qui mène une femme ordinaire dans une odyssée extraordin­aire.

- Bruno Deruisseau

UNE INVITATION AU VOYAGE VERS UN PAYS LOINTAIN ET ÉSOTÉRIQUE, c’est ce qu’évoque le titre du troisième film du jeune réalisateu­r belge Bas Devos, présenté à la Quinzaine des réalisateu­rs cette année. Mais dans Ghost Tropic, nulle autre jungle que celle du Bruxelles noctambule, nuls autres fantômes que ses habitants égarés loin de leur lit. Pourtant, il s’agit bien d’un voyage, celui de Khadija, femme de ménage d’une cinquantai­ne d’années qui s’endort dans le dernier métro et se retrouve au bout de la ligne, obligée de rentrer chez elle à pied. Sa solitaire odyssée nocturne est interrompu­e par des rencontres. La caissière d’une station essence, un sans-abri et son chien, le vigile d’un supermarch­é désert sont autant d’étapes, de ports d’attache où le récit s’amarre avant de flotter à nouveau.

Car Ghost Tropic est un film qui lévite sur la ville, sur la société qu’il habite et sur le cinéma social dont il est le cousin éloigné. Lorsque la caméra se promène dans la solitude des rues baignées d’éclairage public, elle adopte une position étrange : ce n’est pas le point de vue du conducteur, ni celui du marcheur et encore moins celui d’un drone. C’est un point de vue intermédia­ire, à trois mètres du sol environ, celui du mage qui navigue les pieds légèrement décollés du sol. A bien y regarder, avec sa voix d’enfant, son sourire malicieux et sa démarche un peu bossue, Khadija a des airs de fée de la nuit.

Le réenchante­ment du monde proposé par Ghost Tropic est aussi modeste que sublime et engagé. Comme tout réenchante­ment, il s’extrait d’un monde moderne, qui prend dans le film la forme d’une affiche publicitai­re avec palmiers et plage de sable fin, où sont écrits les mots “Get lost”, et devant laquelle Khadija s’arrête un instant. A ce désir d’évasion de pacotille, produit formaté du libéralism­e inaccessib­le au prolétaria­t, le film oppose une odyssée simple et magique, banale et extraordin­aire, posée quelque part entre Miguel Gomes et Chantal Akerman.

Ghost Tropic avec Saadia Bentaïeb, Maaike Neuville, Nora Dar (Bel., 2019, 1h 25), en salle le 1er janvier

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