3 Aventures de Brooke de Yuan Qing
Le premier long métrage d’une jeune cinéaste chinoise. Où Pascal Greggory, archange rohmérien qui tombe à pic, déboule dans une délicate étude des sentiments.
LE PREMIER FILM DE LA JEUNE CINÉASTE CHINOISE YUAN QING
(elle a 32 ans), présenté à la Mostra de Venise en 2018 et primé au Festival des 3 Continents de Nantes la même année, s’apparente à un croisement entre le cinéma de Rohmer et celui de Hong Sang-soo.
De Rohmer, Yuan Qing a le sens du paysage et de la nature, et la première partie du film, qui en compte trois, est un conte moral sur la confiance, se terminant par un pied de nez tout à fait succulent. Il rappelle énormément les Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle, sa légèreté, sa cruauté aussi, ne serait-ce que parce qu’il met en scène deux jeunes femmes qui ne se connaissent pas. Elles sont drôles et intelligentes, craintives des animaux, des maladies. On rit. L’arrivée de Pascal Greggory dans ce coin perdu de la Malaisie où il n’y a que des rizières à voir ou des boutiques de pierres vaguement précieuses n’est évidemment pas un hasard et ajoute à la touche rohmérienne.
De Hong Sang-soo, 3 Aventures de Brooke a le formalisme. Même si le Coréen, obstinément, préfère toujours la bipédie de ses récits à la tripédie ici présente. Le film raconte, trois fois de suite, quelques jours dans la vie de Brooke, une Chinoise égarée dont on ne saura jamais tout à fait si ce qu’elle dit est vrai ou non (idée très hongienne également),
et si elle le sait elle-même. Chaque chapitre, donc retour en arrière, commence par la crevaison de la roue avant de son vélo. Des éléments, des personnages reviennent, comme des rimes ; d’autres personnages, futurs, font déjà une apparition fugace à l’image.
La première fois, Brooke est aidée par une jeune habitante de la région avec laquelle elle va sympathiser. La deuxième, par une bande de glandus dont on ne saura jamais si ce sont des élus de la région ou des espèces de truands mous aux projets délirants et très velléitaires (ils prétendent vouloir développer le tourisme dans la région en en gommant tout l’aspect authentique), sortes de Vitelloni felliniens à la sauce malaisienne, collants et étouffants.
C’est d’abord dans cette partie, au fond assez politique, que Yuan Qing se distingue de ses grands prédécesseurs. La troisième partie est quasiment du Ira Sachs, du Mia Hansen-Løve, tout en délicatesse de sentiments. Pascal Greggory s’y montre une nouvelle fois génial, prévenant avec sa jeune partenaire, sublime elle aussi.
Entre respect de la tradition d’un certain cinéma et renouvellement, un film chinois vraiment très étrange, charmant et singulier.
3 Aventures de Brooke de Yuan Qing, avec Xu Fangyi, Pascal Greggory, Kam Kia Kee (Chi., Malai., 2018, 1 h 40)