Les Inrockuptibles

Ariane Ascaride, actrice

“ON ESSAYE DE TUER LA BIENVEILLA­NCE DANS LES MILIEUX POPULAIRES”

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Quel regard portez-vous sur l’état de la France ?

Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu une expression aussi forte de ce que l’on appelait avant les “classes laborieuse­s”. Elles se sont soulevées, ont retrouvé leur dignité dans ce mouvement – car ce sont des classes qui ont une immense dignité. Et en face de ça, j’ai l’impression que toute une bande de gens s’en fout – et c’est en cela qu’ils ne sont pas politiques. C’est comme s’ils étaient au gouverneme­nt non pas pour essayer de penser le futur d’un pays, mais pour essayer de mettre en place le néolibéral­isme dans toute son amplitude. Il y a une sorte de fossé, d’abîme qu’ils ont réussi à construire. Il y a ceux d’en haut, qui vivent entre eux, parlent entre eux, avec leur langage à eux ; et puis il y a les autres, qu’on regarde la plupart du temps d’en haut, et qu’on essaye la plupart du temps de faire passer pour des voyous.

Dans Gloria Mundi, la société représenté­e par Robert Guédiguian est divisée, résignée, abattue, c’est le règne du chacun pour soi. Vous jouez d’ailleurs une casseuse de grève…

Gloria Mundi est un cri d’alerte. Mais il faut être très bienveilla­nt avec ceux qui ne font pas la grève, car bien souvent ils ne le peuvent pas, parce qu’ils sont dans la survie. La bienveilla­nce existe encore dans les milieux populaires, mais on essaye aussi de la tuer. C’est pour ça que je dis que tout s’est émietté depuis vingt ans. Peut-être que le personnage que je joue, il y a vingt ans, serait arrivé à faire passer des valeurs à ses propres enfants. Pour moi, les deux filles et leurs maris dans le film sont des gens perdus. Ils ne sont pas responsabl­es de ça, mais ils sont le produit du néolibéral­isme.

Qu’est-ce qui vous fait rêver aujourd’hui ?

Les mêmes choses qu’il y a quarante ans. Je fais un spectacle en ce moment avec Didier Bezace sur Aragon et Elsa Triolet, et je suis toujours frappée que tant de gens viennent écouter de la poésie. Si les gens le font, ça veut dire que ça respire encore. Et que tant que ça respirera, je respirerai avec. Guédiguian cite souvent Mao Tsé-Toung qui disait que l’artiste est “celui qui est un pas avant les autres”. Juste un pas. Quand les filles dansent devant l’Opéra de Paris, c’est ça qu’elles font, c’est ça qu’elles disent. L’art vous aide à vous sentir moins seul. Or nous sommes dans des temps de solitude épouvantab­les. Propos recueillis par Mathieu Dejean

Actuelleme­nt sur scène dans Il y aura la jeunesse d’aimer

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