Les Inrockuptibles

DAVID GESELSON Le metteur en scène retrace la vie de Nina Simone

Avec Le Silence et la Peur, DAVID GESELSON met en scène le parcours de Nina Simone avec des acteurs afro-américains, évitant le piège de l’appropriat­ion culturelle pour faire de la mémoire une oeuvre commune.

- TEXTE Fabienne Arvers

N’EN DÉPLAISE AU PRÉSIDENT MACRON, CHÔMER A DU BON. C’est ce qu’on se dit après une rencontre ponctuée d’éclats de rire au lendemain de la représenta­tion du Silence et la Peur de David Geselson au festival FARaway de Reims. Ce n’est pas en traversant la rue que cet acteur-auteur-metteur en scène, découvert en 2016 avec le formidable En route-Kaddish, a retrouvé du travail après trois années de chômage. C’est en s’envolant pour le Japon, un voyage au bout du monde décidé à la suite d’une triple rupture – la fin de son couple, la disparitio­n de son grand-père et un stage suivi auprès du Théâtre de Complicité (compagnie britanniqu­e fondée en 1983) de Simon McBurney, qui venait de créer The Elephant Vanishes d’Haruki Murakami. “Je me suis dit : je vais faire comme eux et adapter du Murakami. Débile. Donc, je suis parti au Japon avec un micro, mon livre, et j’ai écrit à l’agent de Murakami à Tokyo, qui ne m’a pas répondu. J’étais comme un con, j’avais dépensé

3 000 balles et c’était foutu.”

Sauf que le voyage agit comme un déclencheu­r. A posteriori, David Geselson, saisi par le démon du théâtre dès l’adolescenc­e, se dit qu’il a peut-être été trop vite en besogne. A 20 ans, il est au Conservato­ire national d’art dramatique de Paris, puis travaille quelques années grâce au JTN (Jeune Théâtre national), avant une longue traversée du désert, durant laquelle des stages lui offrent une autre approche de la création théâtrale. “Avec le Théâtre de Complicité de Simon McBurney, c’était dément parce que ce sont des gens qui redonnent la possibilit­é de jouer comme un môme, avec les outils du théâtre, et ça m’a complèteme­nt fait vriller. C’était un peu pareil avec Krystian Lupa : il y a une jubilation à convoquer les inconscien­ts. Ce sont des maîtres à penser, et c’est rare d’avoir l’occasion de rencontrer ces gens-là, ça te tord.”

Une torsion qui le fait, depuis, fonctionne­r à rebours. Comme tout bon conteur d’histoires. Des trois spectacles que David Geselson a créés jusque-là, tous lui font remonter le cours de son histoire personnell­e, élargie à la grande Histoire, mêlant inextricab­lement le fond et la forme d’un théâtre où la dimension documentai­re, le long travail de recherche d’archives, sert de trame aux motifs narratifs. En route-Kaddish déroule l’histoire de son grand-père, Yehouda Ben Porat, parti de Lituanie pour la Palestine en 1934, et se transforme en dialogue avec David Geselson.

En 2017, dans Doreen, adapté de Lettre à D. d’André Gorz, déclaratio­n d’amour du philosophe à son épouse octogénair­e, Geselson nous invite dans l’intimité de la maison du couple le soir de leur suicide commun. L’équipe artistique réunie pour son premier coup d’essai est toujours aux manettes : l’acteur Elios Noël, qu’il considère comme le cofondateu­r de sa compagnie Lieux-Dits (fondée en 2009), Lisa Navarro pour la scénograph­ie, Loïc Le Roux pour le son, Jérémie Scheidler à la vidéo et l’actrice Laure Mathis, qui les rejoint pour Doreen.

Car, si l’écriture est indissocia­ble du théâtre qu’il compose, c’est parce que “le plateau devient une prolongati­on de l’écriture et que j’ai compris qu’elle pouvait se faire avec des outils de plateau et pas seulement avec ceux de la littératur­e”. A ce spectacle s’ajoute un projet ouvert au public, Lettres non-écrites, qui va prochainem­ent s’envoler pour le Chili : “Si vous avez un jour voulu écrire une lettre à quelqu’un de cher sans jamais le faire, parce que vous n’avez pas osé, pas su, pas pu, ou pas réussi à aller jusqu’au bout, racontez-la-moi et je l’écris pour vous.” Si les lettres conviennen­t aux spectateur­s volontaire­s, elles sont ensuite lues en public.

Avec Le Silence et la Peur, David Geselson part à la rencontre de l’altérité. Le spectacle retrace la vie de Nina Simone, l’artiste et la militante pour les droits civiques : “Un jeune Blanc français qui raconte une histoire afro-américaine : comment, de quel point de vue, avec qui ? L’appropriat­ion culturelle, ce n’est pas des mots. C’est vrai. Le point de vue dominant dans lequel on est, on ne s’en rend pas compte, parce qu’on y est. Avoir voix au chapitre, ce n’est pas donné à tout le monde.” Alors, c’est au théâtre Harlem Stage de New York qu’il organise une stage audition avec l’aide de Nicole Birmann Bloom, attachée culturelle à l’ambassade de France, et rencontre Dee Beasnael, interprète de Nina Simone, entourée de Kim Sullivan, Afro-Américain, de Craig Blake, Anglais d’origine jamaïcaine, d’Elios Noël et Laure Mathis. Un spectacle de réappropri­ation culturelle partagée, d’une humanité ravageuse. La preuve par trois du talent inouï de David Geselson pour faire de l’histoire un bien commun.

Le Silence et la Peur de David Geselson, les 18 et 19 février, Pau, le 25 février, Chelles, du 27 février au 8 mars, Théâtre des Quartiers d’Ivry. En tournée jusqu’en mai

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Elios Noël et Dee Beasnael
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David Geselson

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