Les Inrockuptibles

L’ÉVÉNEMENT Alain Terzian, la fin d’un système ?

Sous la pression de revendicat­ions pour plus de transparen­ce et d’égalité, ALAIN TERZIAN a démissionn­é de la présidence de l’Académie des César. Retour sur les bouleverse­ments de ces dernières semaines.

- TEXTE Bruno Deruisseau

CES DERNIERS JOURS, L’ACADÉMIE DES CÉSAR A FAIT DAVANTAGE PENSER AU CÉLÈBRE TABLEAU de Vincenzo Camuccini (La Mort de César), illustrant le trépas de l’empereur romain, qu’aux compressio­ns de l’artiste français. Tout est parti de l’éviction de Virginie Despentes et de Claire Denis du traditionn­el dîner des révélation­s qui, le 13 janvier, réunissait les trente-deux acteur·rices prénommé·es dans les catégories meilleurs espoirs féminin et masculin. Pour les accompagne­r tout au long de cette soirée, chacun·e des jeunes comédien·nes devait choisir un parrain ou une marraine et soumettre ce choix à l’Académie, chargée ensuite de contacter l’intéressé·e. JeanChrist­ophe Folly, acteur prénommé pour son rôle dans L’Angle mort de Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard, avait opté pour Virginie Despentes. Mais son choix a tout simplement été refusé par l’Académie, sans que ce refus ne soit motivé.

Pour sa part, ce n’est pas à un refus qu’Amadou Mbow, prénommé pour Atlantique de Mati Diop, a eu droit lorsqu’il a choisi pour marraine Claire Denis, mais à un mensonge. L’Académie a prétendu avoir fait la propositio­n à la réalisatri­ce et que celle-ci aurait répondu être indisponib­le, alors qu’elle n’avait en fait jamais été contactée. Ces pratiques auraient pu rester en interne si la Société des réalisateu­rs de films n’avait pas rédigé un communiqué publié peu avant le dîner. La SRF révèle cette double éviction, demande des explicatio­ns au président de l’Académie, Alain Terzian, et s’interroge sur “les agissement­s opaques et discrimina­toires” à l’oeuvre. Le feu s’est déclaré dans la maison César, et le texte d’excuses signé par Alain Terzian dans la nuit suivant le dîner n’aura pas suffi à l’éteindre.

D’autant que l’annonce des nomination­s le 29 janvier y jetait encore de l’huile. Avec douze nomination­s, Roman Polanski et son film J’accuse récoltent le plus grand nombre de citations, malgré les multiples accusation­s d’agressions sexuelles à l’encontre du réalisateu­r. La profession s’interroge sur sa représenta­tivité aux César et les chiffres sortent enfin. Le collège des 4 700 votants est composé à 65 % d’hommes, tandis qu’ils sont 83 % à son assemblée générale et 71,5 % au sein de son conseil d’administra­tion, où la majorité de ces hommes sont âgés de plus de 70 ans.

Après s’être mis la SRF à dos, l’Académie est à présent dans le collimateu­r des associatio­ns féministes, en premier lieu 50-50. Une nouvelle fois, Alain Terzian tente un coup en annonçant, dans un entretien accordé au Journal du dimanche le 9 février, vouloir atteindre la parité d’ici un an.

Mais il est trop tard. Il ne sait pas que, quelques jours plus tôt, une poignée de réalisateu­r·rices, producteur·rices,

acteur·rices se sont réuni·es dans un café parisien pour rédiger l’ébauche de ce qui sera la tribune publiée dans Le Monde le 10 février et signée par 400 personnali­tés du cinéma français, dont Bertrand Bonello, Michel Hazanavici­us, Robin Campillo, Claire Denis, Mati Diop, Arnaud Desplechin, Virginie Efira, Vincent Lacoste, Céline Sciamma, Léa Seydoux, Omar Sy, Marina Foïs, Justine Triet ou encore Rebecca Zlotowski. Elles y dénoncent “un système fermé et élitiste”, réclament plus de transparen­ce et d’égalité dans la gestion de l’Associatio­n pour la promotion du cinéma – qui régit l’Académie – et dans l’élection de ses membres. Elles concluent : “Il est temps d’envisager une refonte en profondeur des modes de gouvernanc­e de l’associatio­n afin qu’ils se rapprochen­t de celles des institutio­ns étrangères et des fonctionne­ments démocratiq­ues qui les encadrent.”

Une nouvelle fois, l’Académie réagit dans la foulée par l’intermédia­ire d’un communiqué publié le lendemain, assurant qu’elle a “pris acte des critiques, questionne­ments et remarques quant à (sa) gouvernanc­e” et qu’elle va “saisir aujourd’hui le Président du Centre national du cinéma afin de nommer un médiateur en charge d’une profonde réforme des statuts et de la gouvernanc­e de l’Académie”.

Elle achève son texte par un appel à l’apaisement en vue d’une cérémonie qui s’annonce houleuse. Mais ces communiqué­s successifs sont autant de pansements qui couvrent mal une plaie devenue trop béante, une fracture irréparabl­e qui divise désormais la profession et la présidence des César.

Le 13 février, vers 20 heures, coup de tonnerre : un nouveau communiqué émane de l’Académie. Cette fois, le volontaris­me démocratiq­ue cède face à l’aveu d’impuissanc­e. Est annoncée la démission des vingt-et-un membres de son conseil d’administra­tion, composé notamment de Dominique Boutonnat, Gilles Jacob, Claude Lelouch, Robert Guédiguian, Costa-Gavras et de son président déchu, Alain Terzian, nommés jusque-là par un système de cooptation à vie fort peu démocratiq­ue.

Ce naufrage est bel et bien celui d’Alain Terzian et de ses dix-sept années de règne. Selon une source interne, le mode de direction de Terzian était extrêmemen­t autocratiq­ue. Si, de l’avis de membres de l’assemblée générale, l’action de Terzian a été décisive et salutaire quant à l’assainisse­ment d’une Société des César très endettée, la situation s’est compliquée lorsque celle-ci est devenue bénéficiai­re. “Son souci majeur était de faire plaisir à Canal+, que ce soit dans le choix des président·es de cérémonie, des remettant·es, etc.”, nous souffle un membre de l’Académie. Le même ajoute que Terzian aurait apparemmen­t refusé de démissionn­er jusqu’au dernier moment, et que c’est finalement sous la pression des autres membres du conseil d’administra­tion qu’il aurait accepté d’être inclus dans une démission collective.

Si le système Terzian a fini par céder, c’est, selon Iris Brey, porte-parole des combats féministes dans le cinéma français, avant tout grâce à une mobilisati­on inédite : “Ce qu’il y a de nouveau, c’est que des associatio­ns comme 50-50 ou la SRF sont capables de s’organiser en lobby et de faire pression sur un milieu patriarcal.”

Mais la fronde contre Alain Terzian est aussi liée à l’affaibliss­ement du pouvoir que Canal+ exerce sur la profession. La chaîne, concurrenc­ée sur les droits du foot et dépassée par Netflix en termes d’abonné·es, n’est plus en mesure d’investir dans le cinéma français les mêmes sommes que par le passé. “Cette destitutio­n tourne aussi une page dans l’histoire qui unit Canal+ et le cinéma français”, nous dit un producteur indépendan­t.

Quelques jours avant la cérémonie des César (qui se tiendra bien le 28 février), un conseil provisoire devrait être nommé. Il aura pour tâche de créer de nouveaux statuts pour l’Académie afin de garantir plus de transparen­ce et de démocratie en son sein.

A l’heure où le cinéma français semble en ébullition totale (la nécessité d’asseoir Netflix à la table de son financemen­t, l’arrivée de Dominique Boutonnat à la tête du CNC, les révélation­s d’Adèle Haenel, le rachat des Cahiers du cinéma), ce coup de balai sur les César pourrait ouvrir une nouvelle ère, respectueu­se de la parité et plus ouverte au renouvelle­ment génération­nel. Pour Charles Gillibert, producteur, cette démission traduit

“une volonté de cette industrie de reprendre en main les sujets qui la traversent, et ce principale­ment grâce à une nouvelle génération de talents et d’entreprene­ur·ses indépendan­t·es – c’est de bon augure pour la suite.”

Emmanuel Chaumet, également producteur, estime quant à lui que ce débat autour du fonctionne­ment des César doit s’élargir : “Il serait intéressan­t d’interroger aussi d’autres institutio­ns (UniFrance, le Festival de Cannes…) sur ces questions de collusion et de transparen­ce.”

Et souligne aussi l’urgence à s’emparer d’autres questions : “J’ai le sentiment que ce débat arrange bien le gouverneme­nt dans le sens où, pendant ce temps, on ne parle pas de la baisse de l’investisse­ment de l’Etat ni de celui des chaînes de télévision publiques dans le cinéma.”

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Alain Terzian, le 22 février 2019, entouré des lauréats des César d’interpréta­tion, Léa Drucker et Alex Lutz

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