Les Inrockuptibles

Wet Season d’Anthony Chen

Quand la mousson s’abat, tout se brouille : les liens familiaux, amoureux et profession­nels dans lesquels une femme est prise au piège, sous la caméra délicate du cinéaste singapouri­en.

- Jean-Baptiste Morain

C’EST LA MOUSSON, DONC LA SAISON DES PLUIES À SINGAPOUR. Ling, quadragéna­ire, est professeur­e dans un lycée de garçons qui se veut en pointe. Mais elle enseigne le mandarin, matière dépréciée, et n’inspire que pitié à ses collègues. Ling ne va pas très bien : depuis des années, elle essaie d’avoir un enfant avec son mari par fécondatio­n in vitro, et elle va d’échec en échec. Leurs relations se détérioren­t peu à peu. Ling s’occupe aussi beaucoup de son beau-père, qui est impotent et aphasique (sans doute hémiplégiq­ue), mais très gentil avec elle. Tout va donc pour le pire. Mais voilà, une amitié naît entre Ling et l’un de ses élèves, un ado rayonnant, champion d’arts martiaux, laissé à l’abandon et à qui elle donne des cours particulie­rs, qui va lui apporter un peu de soleil. Bientôt, Ling, le vieillard et le garçon constituen­t un petit trio qui s’apprécie. Mais le jeune Wei Lun tombe amoureux de Ling…

C’est le deuxième film d’Anthony Chen, qui avait remporté la Caméra d’or à Cannes pour Ilo Ilo en 2013, avec déjà une histoire de mère de substituti­on. Il va ici un peu plus loin, au-delà du simple amour filial et maternel. Wet Season dresse le portrait d’une femme dont la vie est soumise à la volonté et au désir des hommes, quels que soient leur âge ou leur statut : elle s’occupe d’un vieillard qui n’est pas son père, son mari la rabroue et la trompe, puis finit par demander le divorce. Les supérieurs de Ling sont tous des hommes qui lui demandent de se conformer à leurs intérêts (éviter le scandale, pour le proviseur de son lycée, quand il découvre que la relation entre Ling et son élève risque de mettre en danger sa propre promotion…).

Même le beau, drôle et fringant Wei Lun, lors d’une scène très dérangeant­e car elle se situe à la limite du viol, veut imposer, au nom de l’amour qu’il lui porte et qui est passionné, sa force physique et son désir à Ling, qui n’exprime jamais aucun désir pour lui… Le dénouement, un peu attendu, est malgré tout magnifique­ment rattrapé par une scène finale bouleversa­nte : Ling est retournée à la campagne, chez sa mère qu’elle aide à essorer le linge avant de le faire sécher sur un fil. Elle regarde le ciel, c’est la fin de la mousson, les nuages s’écartent pour laisser paraître le soleil et son renouveau… C’est grâce à sa mise en scène délicate, intelligen­te, qui juge si peu ses personnage­s, tout en retenue et en hors-champ, souvent, qu’Anthony Chen parvient à nous émouvoir.

Wet Season d’Anthony Chen, avec Yeo Yann Yann, Christophe­r Ming-Shun Lee, Koh Jia Ler (Sing., Taï., 2019, 1 h 43)

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Yeo Yann Yann

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