Les Inrockuptibles

Des hommes

D’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet

- Marilou Duponchel

Un documentai­re sensible et fascinant tourné durant vingt jours dans la prison des Baumettes à Marseille.

IL Y A DEUX FILMS DANS

“DES HOMMES”. LE PREMIER EST INQUIÉTANT, BELLIQUEUX, VIRIL. C’est un film de genre, un film de prison, avec ses codes et ses motifs. Ce film-là commence sur l’image d’un homme emprisonné. Son corps ne tient pas en place, il tourne sur lui-même comme un lion dans sa cage. La lumière est basse, la musique sourde, suffocante. La dramaturgi­e anxiogène fonctionne à merveille. Elle est d’une efficacité redoutable. La folie est toute proche mais suffisamme­nt loin de nous, empêchée par une porte vitrée, pour ne pas nous happer totalement.

Nous sommes aux Baumettes, prison de Marseille tristement célèbre pour ses conditions de détention déplorable­s, inhumaines – c’est ce que stipule un rapport établi en 2012 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Puis, un deuxième film commence, stoppant net cette sombre plongée, que l’on pouvait craindre racoleuse, dans les méandres d’âmes privées de leur humanité. La lumière a changé, la musique s’est éteinte. Les artifices du début ne menacent plus le réel et le pas de la porte a été franchi. Nous voici donc désormais au coeur, au milieu de ces piaules de 9 m2 peuplées d’hommes qui se préservent de l’ennui en fumant, en jouant aux cartes, en regardant la télé, en discutant, parfois, cherchant un peu de réconfort (“deux ans, ça va passer vite”). Beaucoup d’entre eux portent encore sur

le visage l’insolence de leur jeunesse

– la moitié n’a même pas 30 ans. La prison, ils connaissen­t, ils en sont à leur deuxième, troisième ou quatrième peine. Les récits décrivent cette même chute, cette même spirale dans laquelle chacun est pris et qui les fait inlassable­ment revenir à la case départ. Mis bout à bout, ils deviennent les preuves criantes d’un système punitif qui broie les individus, séquestre et reproduit les inégalités d’une société malade. Le regard des deux journalist­es d’investigat­ion est toujours doux parce qu’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet ne cherchent rien mais écoutent, se taisent.

La façon avec laquelle chaque prisonnier se laisse filmer et se prête au jeu de la confession en atteste. Faire subsister un peu d’humanité dans un environnem­ent qui n’en porte presque plus les traces, c’est la sauver tout entière, nous dit le film. L’autre belle réussite tient dans la façon dont Des hommes parvient à saisir quelque chose de l’expérience carcérale qui dépasse la simple descriptio­n d’un monde en autarcie. Car ce qui accable, au-delà des multiples restrictio­ns, c’est le poids du temps qui s’incarne à l’écran et dont la pesanteur engourdit les corps et les esprits. Un temps dont on mesure l’importance de la fuite l’instant d’une chanson qui rappelle, à celui qui l’écoute, un père qu’il ne peut plus voir.

Des hommes d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet (Fr., 2019, 1 h 23)

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