Les Inrockuptibles

De la cellule familiale

Thriller domestique au trouble permanent, un AMOUR FOU porté par l’interpréta­tion remarquabl­e du couple Clotilde Hesme-Jérémie Renier.

- O. J.

SOUS L’APPARENCE DE LA NORME, LE MODÈLE DU COUPLE HÉTÉRO IDYLLIQUE AVEC ENFANT se double d’un joli noeud d’angoisses et de dramaturgi­e. L’affaire n’est pas complèteme­nt nouvelle, mais elle prend un sens différent au moment où l’idée de famille mute et où la remise en cause des schémas classiques infuse les corps et les attitudes. Dans la fiction, quelque chose vrille. Il y a quelques mois, l’angoissant­e Servant (Apple TV+), partiellem­ent réalisée par M. Night Shyamalan, approchait les rives de l’horreur domestique avec une histoire d’obsession et d’enfant mort. Juste après la Saint-Valentin, Arte apporte sa pierre à l’édifice avec Amour fou, minisérie en trois épisodes où le vernis du drame conjugal chuchoté se craquelle pour laisser voir l’os des passions.

La femme s’appelle Rebecca (allusion directe au roman de Daphné du Maurier et au film d’Alfred Hitchcock où une épouse morte hante son mari et sa nouvelle femme) et l’homme, Romain. Ils vivent dans un pavillon de province et tentent d’avoir un bébé, ce que le frère de Romain pourrait bien réussir avec sa compagne – contrairem­ent à eux. Il s’est installé dans une maison en face et sa personnali­té borderline place a priori le curseur de la folie sur son visage rageur. Sauf que la folie n’a pas forcément l’apparence que l’on croit…

Au bout d’un premier épisode tendu, Amour fou devient tout autre chose que son programme, pour entrer dans les limbes du mensonge et de la violence… S’invente alors une forme de thriller rêche rappelant au fond moins Hitchcock que son disciple Claude Chabrol, qui a fixé la France des bourgeois de son regard profond et amusé.

Mathias Gokalp, le réalisateu­r des trois épisodes (coécrits avec Ingrid Desjours, la créatrice), lorgne sur la brutalité des sentiments cachés depuis trop longtemps et qui explosent en ordre dispersé. Sa manière de lier le passé et le présent des personnage­s se révèle assez habile et rend la série plus ample que son format le laissait supposer. Sans toucher au tragique grandiose que l’on pourrait espérer du sujet – certaines révélation­s sonnent un peu faux –, Amour fou occupe avec aplomb sa place à part dans le paysage français du petit écran, où les thrillers ont souvent l’apparence de puddings à la fois indélicats et indigestes.

Ici, donc, une certaine légèreté s’impose, que l’on peut attribuer également au couple de comédiens. Révélé par les frères Dardenne ( La Promesse, 1996), Jérémie Renier apporte son trouble naturel à un rôle plus dense au fur et à mesure des minutes. Mais c’est Clotilde Hesme qui offre à la minisérie ses moments les plus rudes et touchants, par son inquiétude permanente, la précision de ses gestes, son approche radicale mais subtile d’une figure féminine étrange, sa transgress­ion assumée. Depuis maintenant plus de quinze ans – et malheureus­ement pas toujours assez –, elle promène son regard et sa profondeur sur les cimes du cinéma d’auteur (Christophe Honoré, Catherine Corsini, Philippe Garrel, Bertrand Bonello, Raoul Ruiz, les frères Larrieu) et de la télévision (elle était mémorable dans Les Revenants). Une grande actrice française.

Amour fou le 20 février à 20 h 55 sur Arteet en replay

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Clotilde Hesme dans le rôle de Rebecca

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