Les Inrockuptibles

Reprise de justice

La vie d’un jury pendant un procès pour meurtre : avec The Twelve, le duo belge déjà à l’origine du subtil Beau Séjour offre un reboot aussi précis que distordu du Douze Hommes en colère de Sidney Lumet.

- Olivier Joyard

L’ÉCHO DU CINÉMA DANS LES SÉRIES (ET INVERSEMEN­T) semble parfois s’imposer comme l’un des acquis de l’époque. En réalité, le cinéma figurait un caractère sériel dès ses origines et les séries sont constammen­t infusées par le grand écran. Il n’empêche que voir une série belge (flamande) contempora­ine prendre comme point de départ

Douze Hommes en colère, le premier film de Sidney Lumet réalisé en 1957, produit un drôle d’effet. Il faut croire que les bons concepts ne meurent jamais, quitte à les tordre un peu. Sanne Nuyens et Bert Van Dael, créatrice et créateur de The Twelve (après l’émouvante Beau Séjour en 2017), prennent la sève de ce classique

– la vie d’un jury pendant un procès pour meurtre – et font à peu près le contraire de Lumet : elle et il s’échappent constammen­t du huis clos (sauf exception) pour inventer une histoire aux ramificati­ons multiples et éclatées.

Les jurés, mais aussi la femme accusée de deux assassinat­s dont celui de sa fille, certains membres de la police : toute cette communauté créée par les circonstan­ces se retrouve au coeur d’un récit entre passé et présent, dont l’aspect rassembleu­r serait une forme de souffrance morale que la société tolère en son sein – et que la justice ne comprend pas toujours.

Comment régler ces dysfonctio­nnements ? De manière assez habile, les showrunner­s reprennent

l’obsession de leur création précédente en montrant comment l’idée du groupe est porteuse d’ambiguïté dans une époque hautement individual­iste. Comment avancer ensemble dans un monde où “tout le monde a ses raisons”, pour reprendre le célèbre dialogue de La Règle du jeu de Renoir ? Telle est la question, parfois vertigineu­se.

On peut reprocher à The Twelve de ne pas souvent ménager ses effets (scénaristi­ques, de mise en scène) quand elle pourrait s’autoriser çà et là quelques franches divagation­s et moments inutiles. Il se dégage parfois de l’ensemble le sentiment d’un chemin un peu trop tracé, d’une habileté narrative étouffante à coups de flash-backs et de saynètes vues et revues sous un nouveau jour. C’est le lot de nombreuses séries judiciaire­s et policières contempora­ines, qui reprennent ce que Les Experts avait déjà porté à un point de sophistica­tion extrême il y a vingt ans. Pourtant, ce sentiment de trop-plein décline au fil des dix épisodes de The Twelve au profit d’un pur plaisir de série, de la certitude que ces intimités méritent d’être croquées et les mystères percés. Il existe finalement peu de propositio­ns à la fois aussi normées et aussi tordues que celle-ci, capables d’aller aussi loin tout en arpentant un territoire connu.

The Twelve saison 1 sur Polar+ et MyCanal

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Johan Heldenberg­h et Greet Verstraete

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