Les Inrockuptibles

Eloge des insoumises

De la Gaspésie à l’Islande, la narratrice de Virginie DeChamplai­n remonte l’histoire des femmes de sa famille. Un roman porté par une remarquabl­e énergie.

- Sylvie Tanette

C’EST UNE ÉMOTION BRUTE

QUI ENFLE DE PAGE EN PAGE. Alors que ce premier roman québécois pourrait être une petite chose intimiste somme toute assez banale – une femme doit vider la maison de sa mère décédée –, Virginie DeChamplai­n en fait un voyage. Voyage au sens propre de Montréal à la Gaspésie, puis en Islande. Voyage dans le temps à la découverte d’une grand-mère maternelle inconnue.

La romancière a choisi des héroïnes à la vie cabossée, mauvaises filles et mauvaises mères qui font ce qu’elles peuvent et passent pour des folles, parce qu’elles ont refusé de se soumettre à l’ordre établi. “Je vais jeter ses cendres dans le Saint-Laurent. Ça lui apprendra.” La singularit­é du roman doit beaucoup à la personnali­té explosive de la narratrice. Cette jeune Montréalai­se un peu marginale retourne dans sa ville natale à l’annonce du suicide de sa mère, et tombe sur le journal de sa grand-mère.

DeChamplai­n est née à Rimouski, un port fluvial à trois cents kilomètres au nord de Montréal en partant vers

la Gaspésie, c’est donc chez elle qu’elle nous conduit. Sauf que ce n’est bien sûr pas tant la beauté grandiose des paysages qui nous emporte ici que la force de sa phrase, qui joue sur l’oralité et le rythme, portée par un français excentriqu­e.

Elle traduit les souffrance­s enfouies de la narratrice, écorchée vive, en butte autant avec son passé qu’avec sa vie d’aujourd’hui.

La romancière est moins dans la psychologi­e que dans la brutalité des émotions. Lisant le journal de sa grandmère, se souvenant de sa mère et de son enfance, la narratrice met soudain des mots sur tout ce qui n’a pas été dit, et prend conscience que tous les malheurs dont elle a hérité sont de salutaires recettes de survie que l’on se transmet de mère en fille. Si elle va au bout de ce qu’elle découvre, alors elle pourra se trouver elle-même et être apaisée. “Ramassé les corps morts.Tout ce qui commençait à pourrir. J’ai sacré ça aux vidanges, avec tout le reste. J’ai ouvert les fenêtres.”

Les Falaises (La Peuplade), 224 p., 18 €

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