Les Inrockuptibles

Drôle de pactole

Boosté par un happening final orchestré par LES BÂTARDS DORÉS avec lasers et fumigènes, ce Feydeau inachevé trouve une nouvelle jeunesse.

- Patrick Sourd

POUR PRENDRE LA MESURE

DES DRAMATURGI­ES DU ROI DU VAUDEVILLE, le mieux avec Feydeau est de se référer à l’avis de Sacha Guitry. Dans son recueil Pensées, maximes et anecdotes, le fin connaisseu­r de la mécanique du rire en appelle avec justesse à la métaphore horlogère pour décrire ses pièces comme des constructi­ons où rien n’est laissé au hasard. “Faites sauter le boîtier d’une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseur­s – mystère charmant, prodige ! C’est une pièce de Feydeau qu’on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c’est une pièce de Feydeau vue de la salle – les heures passent, naturelles, rapides, exquises…” En montant Cent millions qui tombent, les membres du collectif

Les Bâtards Dorés s’attaquent à une pièce écrite en 1911 et restée dans la marge de l’oeuvre car inachevée. Une opportunit­é d’explorer en profondeur les deux versants de l’analyse chère à Guitry en entreprena­nt un improbable dialogue entre le texte et une coda inventée par la troupe, qui témoigne de l’imaginaire mis en branle par le délire vaudeville­sque.

Nul besoin d’attendre le lever de rideau pour être dans l’ambiance. Bien avant l’ouverture de cette boîte de Pandore où les portes ne vont cesser de claquer, la présence d’un acteur plongé dans un profond sommeil à l’avant-scène résume en une image sonorisée les ambitions du manifeste.

La salle commence par convulser de rire quand la surprise l’emporte sur la gêne et qu’il est clair que l’acteur endormi est seul responsabl­e de l’accueil en fanfare orchestré dans un chapelet de pets intempesti­fs. Sous les yeux d’un personnel de maison qui brique l’argenterie comme on se livre à l’onanisme, place donc à la

chronique drolatique d’une cocotte surprise par son régulier avec un acteur des Grands Boulevards dans son lit. Monsieur a misé sa fortune au casino à Monte-Carlo. Revenant ruiné, il se contente d’une chasse au coucou de principe en comptant sur le nouvel arrivant pour payer les factures… avant que l’on apprenne que le valet est l’héritier de cent millions, ce qui le place soudain en tête de liste des amants potentiels de la dame. Prétexte à bousculer tout l’édifice, ce scoop nous entraîne dans une hallucinat­ion jubilatoir­e où l’étrangeté du texte retraduit en vieux français fait des merveilles, tandis que Les Bâtards Dorés sortent la grosse artillerie, avec lasers et fumigènes, pour un voyage dans le temps convoquant le Moyen Age des Monty Python et 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick. Un crash-test surréalist­e qui dépayse le franchouil­lard Feydeau et comble de plaisir.

Cent millions qui tombent de Georges Feydeau par le collectif Les Bâtards Dorés, avec Romain Grard, Lisa Hours, Ferdinand Niquet-Rioux, Jules Sagot, Manuel Servi et Lucien Valle. Jusqu’au 22 février, TnBA, Bordeaux. En tournée jusqu’au 27 mars

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