Rebecca Zlotowski, scénariste et cinéaste
“ÊTRE ÉTRANGER, C’EST ÊTRE RÉDUIT À CE QU’ON OUBLIE DE SOI”
“Est-ce que je me suis sentie bienvenue partout ? Attendue quelque part ? Non. Est-ce que je me suis sentie exclue partout ? Non.
La somme de mes deux parents nés à l’étranger a curieusement fait de moi une Française au carré. La langue française est devenue notre patrie et il y a toujours un endroit où elle est parlée, fût-ce dans nos monologues intérieurs. Je ne l’étais, étrangère, que là où on me réduisait à ce à quoi je ressemblais, sans me connaître. Car, être étranger, c’est être réduit à ce qu’on oublie de soi, qui n’est qu’une partie de soi, momentanée, sans continuité (femme, juive, occidentale). La violence qui s’opère dans le sentiment d’être exclu de soi, de son entièreté, de ce qui fait notre complexité. J’ai eu l’extraordinaire chance de ne pas l’avoir senti souvent. Un historien disait, je crois que c’est Carlo Ginzburg : ce qui fait notre identité, c’est ce dont on peut avoir honte. J’ai davantage connu la honte que l’exclusion. Et je crois que, pour répondre à votre question, je dois l’inverser : vous êtes-vous déjà sentie chez vous quelque part ?
Car je sais que j’ai mis longtemps à me sentir chez moi quelque part. Mon père me disait : tu n’es pas chez toi, mais chez moi. J’avais assimilé cette règle. Un soir, adolescente, j’ai oublié ma clé au milieu de la nuit en rentrant. De peur de les réveiller, je me suis allongée sur le paillasson en me disant qu’il me restait quelques heures à tirer, pas plus. Mais, fatiguée d’attendre, au bout de vingt minutes, j’ai entrepris de gratter doucement à la porte comme un chien qui voudrait rentrer et aurait peur d’aboyer. Ce faisant, je n’avais aucune chance de réveiller qui que ce soit, je le savais. Contre toute attente, mon père a senti ma présence, m’a ouvert la porte et m’a fait entrer en silence sans me faire aucun reproche. J’avais tort.”
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