Les Inrockuptibles

Soccer Mommy Color Theory

Loma Vista Recordings/Caroline Sous ses allures bigarrées, le second album de Sophie Allison est une passionnan­te réflexion sur la dépression, la maladie et la peur de la mort.

- Cyril Camu

LE CONFORT D’UNE CHAMBRE À COUCHER PEUT ÊTRE PERNICIEUX. Là, dans la solitude d’un lit trop moelleux pour être quitté, face au flot ininterrom­pu proposé par Netflix, rien de plus facile que de perdre la notion du temps et le fil de sa vie. Les minutes deviennent des heures, qui se transforme­nt en journées. Jusque-là, Sophie Allison avait réussi à trouver la force de se lever le matin, de quitter son pyjama, de prendre l’air. La pochette de l’inaugural Clean (2018) la montrait dans une cabane, l’oeil canaille, prête à faire de la nature son bac à sable. Dans la dernière chanson du disque, Sophie parlait d’elle comme d’une fleur sauvage. Deux ans plus tard, la plante s’est étiolée, faute de lumière naturelle.

Ne pas se fier à ses mélodies chatoyante­s, à ses refrains addictifs ni à sa production léchée, le second album de Soccer Mommy est un disque profondéme­nt triste. Organisé autour du concept des couleurs – bleu (pour la dépression), jaune (la maladie) et gris (la mort) –, Color Theory parle des traumatism­es de l’enfance et de la manière dont ils nous construise­nt. Les images sont parfois violentes, les doubles sens, aussi beaux que cruels… Sans doute les chansons de Sophie Allison seraient-elles impudiques,

notamment quand elle évoque sa mère, très malade depuis son adolescenc­e, ou les stigmates laissés par les scarificat­ions, si elles n’étaient pas écrites avec autant de talent. Car la dépression peut également être l’occasion d’un bon mot, comme sur Royal Screw Up, où le mal-être de la jeune fille devient un conte dans lequel la princesse préfère se transforme­r en dragon plutôt qu’être sauvée.

“J’adore quand la musique est à la fois très triste et entraînant­e. Quand j’étais petite, j’étais joyeuse. Je me suis rendu compte après coup que cela avait bien changé, qu’en grandissan­t j’étais devenue quelqu’un de pessimiste. D’autant que je trouve que ce type de mélange est un moyen de rendre ces émotions très dures davantage digestes”, explique Sophie Allison. Le coup de génie de Soccer Mommy : emmaillote­r ses douleurs dans une musique aussi douillette que le lit qu’elle ne parvient plus à quitter – on pense souvent à Avril Lavigne, parfois à Torn de Natalie Imbruglia, ces chansons entendues tant de fois qu’elles ont fini par faire partie de nous. Fort de son approche universell­e, Color Theory est un grand disque de l’intime dont chaque écoute permet de se comprendre un peu plus.

Concert Le 15 juin, Paris (Petit Bain)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France