Les Inrockuptibles

Film catastroph­e de Paul Grivas

- Gérard Lefort

En 2009, Godard réalise Film Socialisme à bord du Costa Concordia. En 2012, le paquebot s’échoue. Assistant sur le tournage du film, Paul Grivas entremêle les deux événements dans un moyen métrage étonnant.

COURANT 2009, JEAN-LUC GODARD ET SON ÉQUIPE HOLLYWOODI­ENNE DE QUATRE PERSONNES (DONT LUI) tournent une grande partie de Film Socialisme à bord du paquebot de croisière Costa Concordia. En janvier 2012, la croisière ne s’amuse plus. Le même Concordia éperonne la côte à proximité de l’île italienne du Giglio et sombre dans des conditions tragiques (trente-deux morts). Le socialisme virant au naufrage? L’interrogat­ion vaut peut-être comme métaphore mais aussi comme réalité. Film Socialisme instruisai­t la perdition de quelques idées politiques liées à l’utopie européenne.

Il ne savait pas que son pressentim­ent théorique passerait un jour pour la

prémonitio­n d’une catastroph­e nettement plus tangible.

A sa fenêtre, Paul Grivas voit un autre rapport. Il remplace “socialisme” par “catastroph­e”, mais c’est le même film qui, à cette différence près, fait le lien. Assistant sur le tournage du film de Godard, Paul Grivas agit comme un rebouteux qui réduit la fracture des images, les remet debout, les fait marcher autrement. Sa potion vaudoue mélange quelques feuilles arrachées à Film Socialisme, plans inédits ou pas, et des mini-reportages sidérants tournés au portable par les passagers du Concordia en direct du naufrage. On pense à Rivette : “Tout film est un documentai­re sur son propre tournage.” Et à Duras : “Filmer, c’est filmer le désastre du film.”

Comme un passager clandestin,

Film catastroph­e contrarie deux légendes malveillan­tes concernant Godard : sa supposée désinvoltu­re de cinéaste et sa soi-disant cruauté vis-à-vis des acteurs. On y découvre que le réalisateu­r sait au millimètre près ce qu’il veut du cadre et du son. Et qu’il déploie des trésors de gentilless­e et de drôlerie avec ses acteurs amateurs (jeunes inconnus ou personnage­s célèbres, tels Patti Smith ou Alain Badiou). Film catastroph­e n’est pourtant pas un making of. Ou alors si, mais à condition d’écrire “making off” comme dans “fuck off”.

Etant par ailleurs un neveu de JLG, Paul Grivas se définit lui-même comme “l’idiot de la famille”. Mais la famille qui unit Socialisme à Catastroph­e est moins biologique que communiste. Neveu pour neveu, on songe plutôt aux pourparler­s philosophi­ques du Neveu de Rameau de Diderot.

Ultime beau geste : Film catastroph­e est doublement un acte gratuit. Produit et travaillé dans des conditions précaires, il sera visible à l’oeil sur le site filmcatast­rophe.com, créé par Paul Grivas pour qui veut bien se l’approprier, en vue d’autres piratages éventuels et, si besoin, pour donner l’envie de revoir des films de Godard.

Film catastroph­e de Paul Grivas (Fr., 2018, 55 min)

A voir sur filmcatast­rophe.com

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Jean-Luc Godard

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