Les Inrockuptibles

RUN, la nouvelle série de Vicky Jones en forme de comédie romantique très actuelle

- TEXTE Olivier Joyard

Vicky Jones, fidèle collaborat­rice de Phoebe Waller-Bridge, met en scène RUN, une comédie romantique d’aujourd’hui où une jeune femme abandonne tout pour retrouver son amour de jeunesse et traverser les Etats-Unis. Une série en forme de road-movie portée par l’irrésistib­le Merritt Wever.

LE PREMIER RÉFLEXE AVANT DE COURIR (JUSQU’AU BOUT DE SON SALON, PAS PLUS) POUR REGARDER “RUN” sera de lever une ambiguïté majeure. Il faut le savoir, nous ne tenons pas ici la nouvelle série de Phoebe Waller-Bridge, la géniale créatrice de Fleabag et Killing Eve. Même si la trentenair­e british est créditée en tant que productric­e et joue un petit rôle craquant avec un bonnet sur la tête – on ne dira pas dans quel épisode, désolé –, c’est avant tout sa partenaire créative de toujours, Vicky Jones, qui tient la barre de cette nouvelle comédie HBO. La quadragéna­ire née à Sheffield avait mis en scène dès 2013 la première version théâtrale de Fleabag au festival d’Edimbourg, bien avant la gloire. Les deux femmes ont tout partagé, Jones restant dans l’ombre. Cette fois, elle prend la lumière pour raconter une histoire d’amour en forme d’échappée.

Le pitch de la série tient sur un bout de nappe. Un beau jour, alors qu’elle s’ennuie dans sa voiture avant son prochain cours

de yoga, Ruby Richardson reçoit un texto d’un certain Billy. Un seul mot en majuscules : “RUN.” Cours. Enfuis-toi. Elle répond la même chose. On lâche tout, sans poser de question, dans un élan de liberté. Tel est le pacte. Moins de vingt-quatre heures plus tard, la voilà à l’autre bout du pays, laissant derrière elle mari et enfant pour retrouver à la gare de Grand Central de New York celui qui fut son boyfriend à la fac, un grand rouquin pas trop sûr de lui. Et voilà comment débute une comédie romantique d’aujourd’hui, un genre plus que rare dans les séries et quasiment abandonné au cinéma.

Très vite, la mécanique s’enclenche avec vivacité, et le plus réussi dans le début de saison de RUN (nous avons pu voir les cinq premiers épisodes au moment d’écrire ces lignes) tient à la croyance dans ce couple qui à la fois se retrouve et se découvre. Ils sont devenus d’autres personnes avec les années, ils ont pris doucement un autre visage, se sont construit une vie d’adultes, mais quelque chose persiste dans leurs corps. Le désir, principale­ment. C’est l’une des plus belles scènes du premier épisode, quand les deux amants un peu gênés aux entournure­s s’enferment tour à tour dans les toilettes du train pour se masturber. Le choc était trop fort dans leurs bas-ventres.

Un train, pour quoi faire ? On avait oublié ce détail. Ruby et Billy ne se retrouvent pas sur une île déserte ni en haut de l’Empire State Building, comme dans le classique Elle et Lui de Leo McCarey (1939), mais ils prennent un train sillonnant l’Amérique en direction du nord-ouest, ce qui transforme de fait la série en road-movie (à défaut d’un meilleur terme), avec ce que le genre possède de qualités mais aussi de prévisibil­ité mécanique.

C’est à ce moment-là que pointe une légère déception, quand on comprend qu’un programme sera respecté par la fiction

– en gros, à chaque arrêt dans une gare, un nouvel enjeu – et que, d’une certaine manière, Vicky Jones a choisi de diluer la magie possible de son couple pour lui donner beaucoup de choses à faire. Le petit jeu du chat et de la souris qui se met en place entre les deux amoureux n’a finalement pas beaucoup d’espace, au sens strict du terme, pour se déployer. Les distractio­ns prennent trop de place. Ce qui devait arriver arrive d’ailleurs assez vite, quand une intrigue d’abord secondaire dans les premiers moments finit par grossir, autour d’un personnage féminin certes savoureux (et joué par la géniale Archie Panjabi, ex-Kalinda Sharma de The Good Wife) mais très normé dans l’univers et le genre qu’il impose à la série.

L’autre souci tient au choix de l’acteur principal, Domhnall Gleeson, dont la prestation volontaire manque singulière­ment de charisme pour vraiment nous emporter dans sa fuite plus compliquée que prévu. C’est peut-être injuste, mais une bonne part du charme des comédies romantique­s, même les plus décalées, tient à l’équilibre du couple dont les amours diluvienne­s servent de coeur battant au récit.

Dans RUN, un déséquilib­re se fait sentir, d’abord parce que Domhnall Gleeson trouve face à lui une comédienne exceptionn­elle, peut-être la plus surprenant­e de sa génération. Merritt Wever a un défaut, surtout pour les autres : elle emporte à peu près tout sur son passage, “vole” les scènes et impose un rythme fou. Ici, son rôle de jeune femme à la fois impulsive et claquemuré­e dans des principes lui va comme un gant. Ses déplacemen­ts, sa manière de parler tantôt lente, tantôt mitraillet­te, sa bouille trahissant toujours un tourment intérieur, tout cela donne une bonne raison de la suivre.

Aaron Sorkin avait été l’un des premiers à lui offrir un rôle dans Studio 60 on the Sunset Strip, où elle jouait l’assistante du personnage de Matthew Perry. C’était les années 2000. Depuis, l’intense et discrète comédienne (ce n’est pas un paradoxe) a brillé dans Nurse Jackie, où elle croisait l’incroyable Edie Falco sans s’éteindre pour autant, raflant même un Emmy Award en 2013. L’année dernière, la New-Yorkaise a crevé de nouveau l’écran avec la minisérie Unbelievab­le, dans la peau d’une flic recueillan­t le témoignage de victimes de viol et tentant de coincer leur agresseur. Quelque chose d’empathique se dégageait d’elle, mais aussi une fureur, une ténacité impression­nante que l’on retrouve ici dans un contexte beaucoup plus léger.

On sent bien que dans RUN, Ruby est une héroïne dans la tête de Vicky Jones, même si elle doit partager le devant de la scène. S’il est question aujourd’hui de laisser les oripeaux de nos vies d’avant pour construire un monde vivable sur la durée, autant que Merritt Wever en fasse partie. Comme toutes les actrices importante­s, elle agrandit la réalité.

RUN de Vicky Jones, avec Merritt Wever, Domhnall Gleeson, Tamara Podemski, Phoebe Waller-Bridge, Archie Panjabi A partir du 13 avril sur OCS

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Merritt Wever
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