Yves Tumor
Heaven to a Tortured Mind Warp/Differ-Ant L’énigmatique Yves Tumor signe ici son meilleur album. Tendu, fantasque et bouleversant.
CETTE PÉRIODE DE CONFINEMENT NOUS A CONFIRMÉ L’IMPORTANCE CAPITALE DES OEUVRES. Il y a celles que l’on (re)visite, et puis il y a les nouvelles qui déboulent avec la force d’une ampoule de vitamine D. Heaven to a Tortured Mind, quatrième album d’Yves Tumor, est de celles-là.
Toujours aussi peu de choses à raconter sur celui qui décline les interviews – refusant même de renseigner son lieu de résidence ou son prénom – dans sa quête d’un persona (à coups de maquillage, perruque, lentilles de couleur) par définition évanescent et sa volonté de concentrer notre attention versatile sur son oeuvre, musicale mais aussi visuelle (voir ses clips et pochettes d’albums dingues).
Découvert en 2015 sur la compilation C-ORE de Mykki Blanco, Yves Tumor claque (après l’autoproduit When Man Fails You en 2015) en 2016 et 2018 deux albums insaisissables et fascinants, dans la lignée du producteur vénézuélien Arca. Le r’n’b, la soul, la pop s’y retrouvent chahutés par diverses expérimentations sonores, grondements, clappements, craquements, avec, ici et là, de purs singles surgissant par flashs, tel le titre postAvalanches Noid, où Tumor affirme sa voix d’une façon frontalement rock.
Sur Heaven to a Tortured Mind, le voici qui délaisse l’ambient, la noise et les bidouillages électroniques pour s’engouffrer dans une symphonie rock sensuelle et grandiloquente, presque baroque. A l’image de l’incroyable
morceau d’ouverture, Gospel for a New Century, fresque aux genres multiples et au titre fascinant d’actualité. Spirituel, Yves Tumor l’a toujours été, écrivant sur l’Eros et le Thanatos, la peur, l’angoisse, se grimant en diable cornu, se métamorphosant pour mieux brouiller les pistes et, paradoxalement, faire éclater chez l’auditeur.trice un lâcher-prise insensé (ses concerts se sont souvent transformés en coups de poing et nez pété).
Mais, alors qu’il nous avait toujours semblé difficile d’accéder aux confins de son esprit bancal et cachottier, Tumor se dévoile ici sous un jour nouveau.
Les contours sont clairs, sans être plus pauvres. Le monde qui éclot est accessible, moins lointain. On pense, dans le désordre, à Prince, Marvin Gaye, Block Party, Ariel Pink, D’Angelo, Julian Casablancas et ses Voidz, mais aussi à Frankie Knuckles. C’est bien simple, rien n’est à jeter. Surtout pas son deuxième single, Kerosene !, porté par des riffs électriques et la voix de la chanteuse américaine Diana Gordon. Ni cet avant-dernier titre, plus discret, Asteroid Blues, bande-son d’un monde vivace, trépidant même, tendu par la ligne de basse d’une sourde crise.