Les Inrockuptibles

Yves Tumor

Heaven to a Tortured Mind Warp/Differ-Ant L’énigmatiqu­e Yves Tumor signe ici son meilleur album. Tendu, fantasque et bouleversa­nt.

- Carole Boinet

CETTE PÉRIODE DE CONFINEMEN­T NOUS A CONFIRMÉ L’IMPORTANCE CAPITALE DES OEUVRES. Il y a celles que l’on (re)visite, et puis il y a les nouvelles qui déboulent avec la force d’une ampoule de vitamine D. Heaven to a Tortured Mind, quatrième album d’Yves Tumor, est de celles-là.

Toujours aussi peu de choses à raconter sur celui qui décline les interviews – refusant même de renseigner son lieu de résidence ou son prénom – dans sa quête d’un persona (à coups de maquillage, perruque, lentilles de couleur) par définition évanescent et sa volonté de concentrer notre attention versatile sur son oeuvre, musicale mais aussi visuelle (voir ses clips et pochettes d’albums dingues).

Découvert en 2015 sur la compilatio­n C-ORE de Mykki Blanco, Yves Tumor claque (après l’autoprodui­t When Man Fails You en 2015) en 2016 et 2018 deux albums insaisissa­bles et fascinants, dans la lignée du producteur vénézuélie­n Arca. Le r’n’b, la soul, la pop s’y retrouvent chahutés par diverses expériment­ations sonores, grondement­s, clappement­s, craquement­s, avec, ici et là, de purs singles surgissant par flashs, tel le titre postAvalan­ches Noid, où Tumor affirme sa voix d’une façon frontaleme­nt rock.

Sur Heaven to a Tortured Mind, le voici qui délaisse l’ambient, la noise et les bidouillag­es électroniq­ues pour s’engouffrer dans une symphonie rock sensuelle et grandiloqu­ente, presque baroque. A l’image de l’incroyable

morceau d’ouverture, Gospel for a New Century, fresque aux genres multiples et au titre fascinant d’actualité. Spirituel, Yves Tumor l’a toujours été, écrivant sur l’Eros et le Thanatos, la peur, l’angoisse, se grimant en diable cornu, se métamorpho­sant pour mieux brouiller les pistes et, paradoxale­ment, faire éclater chez l’auditeur.trice un lâcher-prise insensé (ses concerts se sont souvent transformé­s en coups de poing et nez pété).

Mais, alors qu’il nous avait toujours semblé difficile d’accéder aux confins de son esprit bancal et cachottier, Tumor se dévoile ici sous un jour nouveau.

Les contours sont clairs, sans être plus pauvres. Le monde qui éclot est accessible, moins lointain. On pense, dans le désordre, à Prince, Marvin Gaye, Block Party, Ariel Pink, D’Angelo, Julian Casablanca­s et ses Voidz, mais aussi à Frankie Knuckles. C’est bien simple, rien n’est à jeter. Surtout pas son deuxième single, Kerosene !, porté par des riffs électrique­s et la voix de la chanteuse américaine Diana Gordon. Ni cet avant-dernier titre, plus discret, Asteroid Blues, bande-son d’un monde vivace, trépidant même, tendu par la ligne de basse d’une sourde crise.

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