Les Inrockuptibles

Everything Is Recorded

Friday Forever XL Recordings/Wagram

- François Moreau

Richard Russell réunit un casting de haute volée pour savourer le moment présent.

“MONDAY, TUESDAY IS MY WEEKEND”, CHANTAIT JULIAN CASABLANCA­S SUR “TAKEN FOR A FOOL”. Façon d’évoquer sa rupture avec l’autre monde, celui de la migration pendulaire, des jours de RTT et des monospaces pleins à craquer de gosses braillards. Comme un vague pressentim­ent que le temps nous est compté, deux grands albums sortant à quelques semaines d’intervalle seulement semblent mettre un point d’honneur à rendre ainsi compte des minutes qui s’égrènent dans une époque déphasée.

C’était d’abord le cas de 3.15.20, le dernier Childish Gambino, dont le titre des plages a disparu au profit d’un minutage scrupuleux ; c’est maintenant celui du second volet des aventures discograph­iques de Richard Russell – sous son sobriquet de producteur, Everything Is Recorded –, qui propose avec Friday Forever d’embarquer ses collaborat­eurs vocalistes dans une virée nocturne un vendredi soir pas vraiment comme les autres.

Le fondateur du label XL Recordings, maison de qualité (voyez donc un peu ce roster : King Krule, Radiohead, The xx, Jungle, Arca, Ibeyi, Jack Peñate…), ouvre ainsi sa boîte de Pandore en rameutant dans le sillage de son savoir-faire en matière de groove soyeux une clique à la Peaky Blinders complèteme­nt acquise à la cause.

Au générique de cette embardée de fin de semaine, le vétéran Ghostface Killah, mais aussi le fiston de l’aïeul du Wu-Tang, Infinite Coles (notamment

en featuring avec le paternel à

3 heures 15 du matin), qui semble avoir le potentiel de casser les codes du r’n’b avec une voix soul habitée par on ne sait quel démon mystique. On retrouve ce cool kid un peu plus tôt, à minuit douze très exactement, en duo avec le sale gosse de Manchester Aitch, qui claque des rimes ciselées comme un Pusha-T version lad, avant de revenir à 1 heure 32 aux côtés du prometteur Berwyn Du Bois, rappeur made in Trinidad ayant grandi dans le bordel londonien.

Moins newcomer mais tout aussi prometteus­e, on croise la rappeuse FLOHIO à 2 heures 56 du mat’, sur un riddim fracassé. A 4 heures 21, on file dans un club jazz enfumé pour écouter la voix vaporeuse de Maria Somerville, qui rencontre ici James Massiah, futur grand de la scène londonienn­e. Comme si la messe avait lieu un samedi matin embrumé, Infinite Coles revient à 11 heures 55 pour un gospel lumineux, puis laisse sa place au poète punk Penny Rimbaud, qui pose sa voix comme Iggy Pop sur Free, avec un spoken word soutenu par des cordes chaudes nous accompagna­nt, pauvres pécheurs, dans les derniers instants de notre périple insomniaqu­e.

Outre la beauté de l’instant, Richard Russell continue, comme Dre avec Compton, d’utiliser son projet Everything Is Recording comme un Cheval de Troie, transporta­nt dans son écrin quelques-unes des voix qui vont compter.

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