Les Inrockuptibles

Dans la ville blanche

- Sylvie Tanette

En explorant La Maison indigène, CLARO se met en quête de sa “préhistoir­e” algérienne. Surgissent alors Camus, Le Corbusier, le poète Jean Sénac et tout un pan du passé de l’auteur. Bouleversa­nt.

C’EST UNE MAISON BLANCHE, QUELQUE PART DANS ALGER.

On l’appelait la maison indigène mais aussi la maison du centenaire, car elle a été édifiée en 1930 pour fêter les 100 ans de colonisati­on française en Algérie. Albert Camus, qui l’a visitée tout jeune, lui a consacré son premier texte littéraire connu, “La Maison mauresque”. Ce n’est pas seulement pour cela que Claro s’est intéressé à cette bâtisse qui encore aujourd’hui se dresse aux portes de la Casbah : l’architecte qui l’a conçue était son grand-père paternel.

Romancier et traducteur d’auteurs américains, Claro a durant deux ans signé le feuilleton du Monde des livres et tient également un blog littéraire, Le Clavier cannibale. C’est un nouveau costume qu’il endosse aujourd’hui avec ce récit. Se transforma­nt en archiviste et enquêtant sur le passé de sa famille, il l’explore justement en visitant une maison, en ouvrant une à une chaque porte, découvrant ici une salle lumineuse, là une pièce dérobée.

Dans ce texte où chaque énigme en révèle une autre, Claro traverse l’histoire du pays et ses hontes, questionne l’identité et l’appartenan­ce, le minuscule et le collectif. Page après page, il crée un étonnant édifice de papier en équilibre instable où l’on croise Camus mais aussi le poète Jean Sénac et l’architecte Le Corbusier.

Il enquête, consigne documents et découverte­s, cherche le nom du comédien arabe qui a joué dans l’adaptation cinématogr­aphique que Visconti fit de L’Etranger. Et dans cet ingénieux maillage de références historique­s et littéraire­s, Claro raconte ses ancêtres venus des Baléares et ménage quelques pages d’émotion à nu.

Petit à petit émergent des noms, des gens, des parcours, des souffrance­s tues dans une histoire familiale marquée par l’exil et l’arrachemen­t. L’auteur explique vouloir écrire sur ce qu’il appelle sa “préhistoir­e”, mais c’est lui qui apparaît. Parce qu’il n’est jamais allé voir Alger, il interroge son refus ancien de s’intéresser à ce passé pied-noir qu’il affronte aujourd’hui : “J’ai oublié l’Algérie comme on oublie une fenêtre par laquelle on n’a jamais regardé. Je n’ai pas oublié le poids du temps, le poids humide du passé.”

Et ce livre qui questionne la transmissi­on et l’héritage dévoile peu à peu un autre personnage, le père, que l’auteur enfin rencontre.

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Jean Gabin contemplan­t Alger dans Pépé le Moko de Julien Duvivier (1937)
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(Actes Sud), 368 p., 22 € Disponible en version numérique
La Maison indigène (Actes Sud), 368 p., 22 € Disponible en version numérique

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