Les Inrockuptibles

O Fantasma de João Pedro Rodrigues

Sur la plateforme Mubi, le premier long métrage du grand cinéaste portugais. L’odyssée sexuelle insatiable d’un jeune éboueur gay lâché dans la nuit lisboète. Un chef-d’oeuvre, brûlant et mystérieux.

- Bruno Deruisseau

À L’ÉPOQUE DE LA SORTIE EN FRANCE DU PREMIER FILM de João Pedro Rodrigues, les critiques (notamment celle, sublime, d’Olivier Séguret dans Libération) parlaient d’O Fantasma comme d’un grand film sur l’homosexual­ité. S’il est vrai que le film trône en compagnie d’Un chant d’amour, de Querelle ou des Roseaux sauvages parmi les chefs-d’oeuvre du cinéma gay, on pourrait, à la lumière de L’Ornitholog­ue, dernier film en date de l’auteur portugais, renverser cet axe de lecture, en ne donnant non pas à homosexual­ité le sens premier du terme (attirance pour les individus de même sexe) mais en le prenant à la racine, c’est-à-dire l’homo- sexualité, la sexualité des humains. On se l’autorise d’autant plus que le titre du film lui-même s’amuse d’un double sens, puisque le portugais de fantasma renvoie tant au fantôme qu’au fantasme.

Dans L’Ornitholog­ue, Rodrigues se rêvait, à travers le corps de Paul Hamy, tant en spécialist­e des oiseaux qu’en Antoine de Padoue, saint patron des animaux perdus, et finalement en homme retourné à l’état de nature. Et si la grande obsession du réalisateu­r était au fond de traquer la persistanc­e de l’instinct animal chez l’homme, de précisémen­t explorer une sexualité non-humaine, animale ?

Car le fantasme de Sergio, le jeune éboueur lisboète du film, n’est pas celui d’une sexualité humaine mais d’une pratique

animale du sexe. On le voit dès les premières scènes, il n’embrasse ni ne sent ses partenaire­s, il les lèche, les mord, les renifle, leur aboie dessus ou grogne comme une chienne en chaleur. Ses étreintes relèvent plus de l’accoupleme­nt sauvage que de l’acte d’amour ou même de la baise. O Fantasma raconte une zoomorphis­ation, une métamorpho­se kafkaïenne en forme de parade nuptiale, de rut éblouissan­t et solitaire.

Parmi les étapes de ce devenir-animal, il y a la rencontre, au bout d’une nuit passée à ramasser les ordures, d’un jeune motard sur lequel l’imaginaire de Sergio va se déchaîner. Mais ce fantasme n’est pas intellectu­el, il est physique. Sergio fétichise chaque élément ayant été au contact de l’objet de son désir, d’une paire de gants troués à l’eau d’une piscine. Si le film reprend les codes du porno gay et du sadomasoch­isme, c’est comme motif d’une sexualité brutale, comme bain révélateur de notre instinct animal de possession physique. Bien que cette proclamati­on du sexe comme pulsion indomptabl­e ne soit pas vraiment dans l’air du temps, O Fantasma n’en fait pas l’apologie, il sonde avec une grâce infinie le bloc d’abyme de notre sexualité enfouie.

O Fantasma de João Pedro Rodrigues, avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Andre Barbosa (Por., 2000, 1 h 30). Sur Mubi

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