Les Inrockuptibles

La grandeur de la folie

Si la Cinémathèq­ue française a dû différer l’exposition qu’elle devait consacrer à Louis de Funès, Ciné+ permet de retrouver en vingt-cinq films les incarnatio­ns furibardes de l’irrésistib­le histrion.

- Thierry Jousse

ULTIME COUP DE MALCHANCE : ALORS QU’IL S’APPRÊTAIT À RECEVOIR l’extrême-onction de la légitimité artistique et culturelle sous la forme d’une exposition et d’une rétrospect­ive qui auraient dû ouvrir à la Cinémathèq­ue française en ce début de mois d’avril, Louis de Funès aura été, à titre posthume, l’une des victimes collatéral­es de la période. Mais, grâce à la chaîne entièremen­t dédiée à de Funès que Ciné+ vient tout juste de créer, l’acteur qui régna, sans partage ou presque, sur le box-office français tout au long des années 1960-1970 est, en même temps, l’un des grands triomphate­urs du confinemen­t. Et même s’il y manque quelques classiques, en particulie­r les films de Gérard Oury, la série des Gendarme ou la trilogie Fantômas, l’amateur a tout de même quelques biscuits à se mettre sous la dent…

C’est une évidence : la puissance plastique, comique, métamorphi­que de l’acteur de Funès est bien supérieure à la somme de ses films et à leur qualité intrinsèqu­e. C’est une tempête, une tornade, que dis-je, un ouragan qui dévaste tout sur son passage, y compris le scénario et la mise en scène, sommés de se rallier à son panache dévastateu­r. Ce qui signifie que dans Oscar, Les Grandes Vacances, L’Homme orchestre ou L’Aile ou la cuisse, par exemple, le monde entier est plié, le temps du film, aux dévorants désirs de sa majesté Louis Ier. D’ailleurs, si on les prend au pied de la lettre, les films de De Funès sont généraleme­nt des oeuvres mineures ou très mineures, voire totalement dispensabl­es. Mais, si on les saisit à l’aune des performanc­es de l’acteur, les mêmes films recèlent inéluctabl­ement des moments de génie – au hasard, le ballet des serveurs dans Le Grand Restaurant ou les numéros musicaux de L’Homme orchestre. Pour aller à l’essentiel, de Funès fut le seul en France, avec Tati, dont il est à la fois le contempora­in et l’exact opposé, à ressuscite­r le slapstick en plein coeur du cinéma parlant.

A part ça, de Funès représente également un type social majeur des Trente Glorieuses : l’incarnatio­n dérisoire du chef, mêlant, avec délice, la bassesse et la mesquineri­e. Comme le précipité chimiqueme­nt pur d’une société ultra-hiérarchis­ée qui implose par la démence anarchiste du jeu de l’acteur. Comme un carnaval où le bouffon de Funès vient miner de l’intérieur le gaullisme ou le pompidolis­me dominant. Car, passé au Karcher de Funès, l’archétype du petit chef ressort lessivé, épuisé, vidé de sa substance et venge le spectateur des diverses humiliatio­ns qu’il a pu éprouver. Et, même si les personnage­s incarnés par de Funès peuvent paraître datés, cette forme moderne de catharsis opère encore aujourd’hui. Ce qui explique sans doute l’incroyable ténacité avec laquelle la folle créature continue, encore aujourd’hui, à hanter nos cauchemars et nos écrans.

Ciné+ de Funès jusqu’au 30 avril

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Louis de Funès dans L’Homme orchestre (1970)

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