Les Inrockuptibles

Le feu sacré

Avec La Flamme, le dessinateu­r virtuose argentin Jorge González raconte l’histoire de sa famille et atteint à l’universel.

- Vincent Brunner

“JOSÉ… LE ‘SOURD’ ME DIT QU’IL T’A VU TRAVERSER LE PONT EN COURANT et ça lui a donné l’impression de voir voler une flamme…” Parce qu’il a les cheveux roux et ne tient pas en place, le petit José Maria González reçoit, enfant, un surnom que ses exploits, ballon au pied, inscriront plus tard dans la légende du football argentin. Mais, plutôt que de dresser son unique portrait, La Flamme expose un passage de flambeau, la transmissi­on plus ou moins limpide entre quatre génération­s. Maillon de cette chaîne, Jorge González, petit-fils de José, rend ici hommage à sa famille.

Cependant, ce récit intime courant sur plus d’un siècle, voyageant de Buenos Aires à Madrid, ne constitue pas un huis clos généalogiq­ue et possède une vraie universali­té. Cet album touffu montre comment, avec beaucoup de foi, des hommes nourrissen­t des espoirs, se battent contre la fatalité et bâtissent des projets fous – parfois, il s’agit d’un terrain de football imaginé au milieu de la nature.

Si la lecture de La Flamme se révèle aussi fascinante, c’est parce que le dessinateu­r argentin privilégie une constructi­on tout en ellipses et angles morts. Au lieu de trop en dévoiler et de surligner les évidences, son récit joue à saute-mouton, nous laissant parfois dans le brouillard avec des personnage­s

avares de mots. Cette pudeur se voit contrebala­ncée par une exubérance graphique qui laisse bouche bée, transforma­nt les silences en explosions de couleurs et superposit­ions de traits. González se sert en effet de son passé familial comme d’une matière première propice à toutes les expériment­ations.

Mêlant les techniques – crayon, pinceau, aquarelles, traitement numérique, utilisatio­n de photograph­ies –, héritier de Picasso, Turner ou Blutch, il donne envie de se pencher ou de zoomer sur chaque case. Souvent impression­niste, très audacieuse, son approche semble symboliser l’état d’esprit des personnage­s afin de mieux nous faire percevoir leurs émotions brutes. Entre art book et saga familiale en pointillés, La Flamme brûle devant nos yeux avec intensité.

La Flamme (Dupuis), traduit de l’espagnol (Argentine) par Thomas Dassance, 280 p., 39 €. Disponible en version numérique, 9,99 €

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