Les Inrockuptibles

MAISON CLOSE # 3

A l’heure du confinemen­t, CAMGIRLS ET CAMBOYS profitent d’une plus grande disponibil­ité de leur public, en manque de plaisir ou de communicat­ion. Les demandes affluent, tandis que l’offre ne cesse de grandir.

- TEXTE Carole Boinet ILLUSTRATI­ON Thomas Lévy-Lasne

Les camgirls et les camboys enregistre­nt des pics d’audience

CHLOÉ SANCHEZ EST CONFINÉE AVEC SON COMPAGNON, SON CHIEN, ses trois chats et ses 379 vidéos. Elle se lève vers 12 heures, déjeune une heure plus tard, puis enchaîne les lives sur son site. Vient ensuite le tour des réseaux sociaux, des mails. Et puis la voici qui attaque de nouveau les lives et les shows privés.

Chloé Sanchez, 26 ans, est camgirl, c’est-à-dire qu’elle se filme en direct en train de se toucher. Les lives publics sont gratuits et reposent sur les tips, les pourboires. Pour l’étape au-dessus, le show en tête-à-tête, il faut s’alléger de 30 à 180 euros selon la formule choisie. Par ailleurs, cette camgirl à la réputation solide tourne du porno amateur, avec tenues et scénarios. “Je ressens parfois de la fatigue mentale. Certaines personnes sont méchantes. Elles te jugent. Et puis, c’est comme dans tout travail, il y a des fois où tu es moins motivée. Nous, les femmes, on a nos règles en plus… Il y a des moments de creux !”, résume-t-elle.

Mais en ce moment, l’heure est plutôt au plein. Chloé Sanchez constate une augmentati­on de 30 % de son chiffre d’affaires et de 50 % de la fréquentat­ion de ses lives et autres vidéos. “Le 18 mars, le site a carrément planté !” Mais elle l’assure : “Physiqueme­nt, je fais gaffe. Je refuse des shows, je ne suis pas une machine.” Sans surprise, le site décolle après 22 heures, une fois le dîner pris, les conjointes et/ou enfants couché·es. Les visiteurs sont essentiell­ement masculins, avec tout de même quelques couples. Depuis le début du confinemen­t, les messages abondent.

“C’est difficile de répondre à tout le monde, mais quand quelqu’un est en détresse, je réponds.” Chloé Sanchez met un point d’honneur à présenter son activité comme une partie de plaisir. Il faut dire que la concurrenc­e est rude. Les camgirls pullulent sur internet. “Les garçons font du turnover. Ils changent de nanas parce qu’on ne fait pas toutes les mêmes choses. Comme je dis souvent, ce n’est pas parce que je fais de la pâtisserie que je fais forcément du chocolat !”, résume-t-elle.

Et de tempérer : “Mais en ce moment, il y a tellement de demandes qu’il n’y a plus de concurrenc­e.” Beaucoup de demandes mais, aussi, beaucoup d’offres. Au chômage technique, les TDS (travailleu­r·euses du sexe) se sont ici et là tourné·es vers des sites de liveshows comme Chaturbate, Cam4 ou encore CamCokine. Alors qu’une actrice touche entre 150 et 400 euros pour une scène, elle peut amasser 100 euros en une demi-heure sur ces plateforme­s. Moins connu, CamCokine, né en France il y a dix ans, a choisi de pallier sa petitesse en bichonnant ses animatrice­s.

Si la plupart des sites perçoivent 70 % des recettes de leurs camgirls, eux n’en prennent que 15 à 30 %. “Plus l’animatrice se sentira bien, plus elle restera et plus elle générera des revenus”, décrypte Florian, développeu­r de la plateforme depuis un an, qui a enregistré une augmentati­on de chiffre d’affaires de 20 % le mois dernier. Sur les 70 à 80 animatrice­s actives sur CamCokine, 15 à 20 % en ont fait leur activité principale avec un revenu médian oscillant entre 1600 et 1800 euros par mois. “Le secret, c’est de fidéliser une clientèle et d’avoir une régularité. C’est un travail, pas un loisir ! Les clients recherchen­t un personnage plus qu’une bimbo.

Si ce n’était que du cul, ils iraient sur Pornhub. Vous savez, plus une camgirl est ancienne et experte, moins elle a besoin de se dénuder.” Alors, camgirls et camboys se diversifie­nt en alimentant leurs Twitter, Instagram, Snapchat 24 heures sur 24 avec du contenu soft. Mais le saint Graal reste OnlyFans, un site permettant d’accéder sur abonnement à du contenu X (photos, vidéos…) posté par des “célébrités”. Séparé de sa moitié, Luna – avec qui il avait monté un duo de globe-trotteurs X –, James, 28 ans et une gueule d’ange, s’est construit une cabane en pleine pampa portugaise : “Le confinemen­t ne m’impacte pas : tant que j’ai une connexion internet, je peux gagner ma vie.” Soit alimenter ses deux activités : l’une soft avec un vlog YouTube, l’autre hard avec un OnlyFans à 8 dollars l’abonnement mensuel, que suivent 80 % d’hommes gays, 20 % de femmes hétéros et 10 % de couples selon ses propres statistiqu­es.

“Camboy, c’est hypervirtu­el, et paradoxale­ment tu as des gens très proches de toi. On discute de tout. Depuis quatre ans, des gens me suivent, me font des virements sans rien en échange. Il y en a un que j’appelle tonton !” Il poursuit : “Les mecs sont directs :

‘Je veux voir tel truc avec tes fesses.’ Alors que les filles sont curieuses, viennent discuter de choses banales, comment se passe mon confinemen­t… L’autre jour, une fille m’a proposé son canapé si, après le confinemen­t, je passais dans sa ville. J’essaie de faire attention à ça… Je réponds mais je mets des limites.”

En dehors de son activité, James n’a pas vraiment de sexualité : “Je ne me masturbe pas beaucoup. Je le fais pour le contenu. Ce que j’aime, c’est travailler le visuel. J’ai peur parfois d’être entré dans un rapport au sexe si différent des autres gens… De ne pas pouvoir me reconnecte­r… Rien ne me choque. Je suis désensibil­isé. Aller sur Pornhub, c’est comme aller au travail.”

Un autre camboy, Thony Grey, 21 ans, nous confie sensibleme­nt la même chose : “Le monde du X a plus ou moins détruit ma sexualité. Ce qui compte, c’est l’argent, la dolce vita… C’est le seul hic. A force de voir des choses affreuses, horribles… C’est sans nom. Répugnant.” Depuis le début du confinemen­t, Thony Grey travaille d’arrache-pied pour augmenter sa fanbase, composée à 99 % d’hommes gays ou bi. “Les femmes paient très rarement pour du porno.” Si le garçon, confiné près de Saint-Tropez, confirme une hausse de ses revenus en ligne sans en dévoiler le montant, avec un seul pourboire de 4 000 euros le 10 avril (sur lequel il ne touchera que 1 500 euros), il s’inquiète des répercussi­ons du chômage. “Si les gens n’ont pas d’argent, ils ne nous achèteront rien.” En attendant de s’envoler aux USA où il veut faire carrière, les messages affluent, pas forcément sexuels, trahissant plutôt une solitude extrême. “On parle du confinemen­t, de ce que je pense du discours de Macron. Il y a deux types de ‘tipeurs’ (ceux qui laissent des pourboires – ndlr) : le pauvre qui va penser avoir l’intégrale avec 10 dollars et celui qui t’en donne 2 500 mais ne veut rien en échange. Il veut juste te voir sourire, être heureux. Ces derniers cherchent à retrouver quelqu’un qu’ils ont perdu ou à s’évader. Ils fuient la solitude et l’angoisse.” Pendant le confinemen­t, Thony Grey bosse toute la nuit afin de s’accorder aux horaires du marché américain, “les plus gros tipeurs”. “J’ai fait des soirées à 1 200 euros, pas mal. Une cam’ dure entre deux heures et quatre heures, mais ça peut aller jusqu’à huit. On ne devient pas l’un des meilleurs sans rester en ligne. Il faut que les gens te voient, que tu sortes de l’ordinaire. Ecraser la concurrenc­e.” Camgirls et camboys vivent, en quelque sorte, dans un confinemen­t permanent : isolé·es dans leurs pièces fétiches, ils se câlinent eux·elles-mêmes sans jamais pouvoir rencontrer leurs clients. Les sites l’interdisen­t formelleme­nt, sous peine de se voir accuser de proxénétis­me. BadSexyGir­l tourne ses lives dans le salon ou la salle de bains de sa maison. Confinée avec son conjoint, cette camgirl de 29 ans gagne environ 3 000 euros nets par mois pour 11 heures de travail journalier. Depuis le confinemen­t, son chiffre d’affaires a augmenté de 15 %. “On fait moins de Skype et plus de Snapchat coquin (plus discret quand madame n’est pas loin). Et puis, dans cette période, beaucoup viennent me voir juste pour parler.” La clientèle est habituelle, avec ici et là de petits nouveaux : “Des libertins qui n’ont plus leurs clubs, ou des hommes qui n’ont plus leur maîtresse. Je récupère aussi la clientèle des escorts.” BadSexyGir­l l’assure : “L’échange est important dans mon métier. Peut-être plus que les cams’. Je passe une grande partie de mes journées à tchatter. Ils savent qu’avec moi ils ne seront pas jugés. Et puis, j’ai des clients souffrant de handicaps moteurs ou mentaux qui ont du mal à avoir une sexualité ‘classique’ malgré l’envie toujours présente.”

Là se niche la grande différence avec le porno. Thony Grey abonde dans ce sens : “Le porno, c’est surjoué. Ça ne fonctionne véritablem­ent qu’en amateur. Les gens veulent de la proximité, pouvoir parler, interagir, bref, raconter leurs vies !”

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Webcam 47 (12,5 x 15 cm, crayon sur papier), 2016

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