Les Inrockuptibles

Isabelle Adjani

- Recueillis par J.-M. L. Propos

En 2008, Christophe proposait à Isabelle Adjani d’ouvrir son nouvel album, Aimer ce que nous sommes, sur un morceau grandiose intitulé

Wo Wo Wo Wo. A la sortie du disque, elle évoquait pour nous cette rencontre.

“Est-ce que les chansons de Christophe ont compté dans ma vie ? Ecoutez, qu’on le veuille ou non, c’est difficile de ne pas en avoir eu certaines dans la tête. Mais ce qui m’intéresse chez lui, ce sont moins ses chansons que son univers, cet univers pour moi s’est précisé extraordin­airement avec l’album Comm’si la terre penchait, en 2001, pour lequel j’avais eu plus qu’un coup de coeur. Un album de Christophe, vraiment, ce ne sont pas des chansons, je ne sais pas très bien ce que c’est, plutôt une façon d’agencer des climats, de rentrer fortement dans des obsessions, et de les suivre. Par moments, il coule. Et par moments, au contraire, il est en apesanteur. Je ne suis pas quelqu’un qui aime perdre le contact avec la réalité, mais il est impossible d’écouter un album de Christophe sans changer d’état. On entre dans une bulle hypersensi­tive, et ce qui circule à l’intérieur est contagieux.

Christophe était venu me voir au théâtre jouer Marie Stuart. Il est venu, je ne crois pas me tromper, quatre ou cinq fois. Après chaque représenta­tion, il venait dans ma loge. Il avait une façon de se taire qui m’a bouleversé­e. En général, après une représenta­tion, on entend des mots, des mots, des mots, et souvent on préférerai­t pas de compliment du tout à ces phrases plus ou moins de politesse. La façon dont il semblait avoir été ému m’a beaucoup touchée. Et puis il s’est mis à m’envoyer des SMS, que j’ai gardés, ce que je ne fais généraleme­nt pas. Des choses comme : ‘Voulez-vous venir danser avec moi ?’

Il faisait une fixation sur ma voix. C’est quelque chose qui l’obsède, les voix. Cela m’étonnait, car je ne considère pas que la mienne ait quoi que ce soit de particulie­r. Il m’écrivait aussi ‘je veux vous filmer’, je me disais : ‘Ah bon, il fait des films maintenant ?’ Peu à peu, j’ai appris à décrypter, à comprendre qu’il parlait de sa musique en termes d’images et qu’il me demandait simplement de poser ma voix sur un de ses morceaux. L’enregistre­ment a eu lieu chez lui, une nuit, parce qu’avec lui ce n’était pas possible que ça se fasse le jour. Je n’arrivais pas à y aller, j’ai repoussé plusieurs fois. Après un an de SMS, je m’étais habituée à ce que ce soit une collaborat­ion virtuelle et je ne me voyais plus le faire vraiment. Il ne s’est pas énervé, m’a dit très doucement un jour, quand il finissait l’album : ‘Maintenant, ça ne va plus être possible’, et je suis venue in extremis. Quand on fait quelque chose avec lui, en fait, on ne se rend pas compte qu’on le fait – et de toute façon, ce que j’ai fait sur ce disque n’est effectivem­ent pas grand-chose. J’ai dit le texte tel qu’il me l’a présenté à l’exception d’une phrase, ‘elle a dit

“je vais tout avaler’. Ça semble de la pudibonder­ie, mais je pensais que, dit par moi, ça aurait sonné faux, qu’il ferait mieux de le demander à une actrice comme Emmanuelle Seigner, qui a un peps trash que je n’ai pas. Je pensais que pour lui ce serait une question pivot, mais pas du tout, ça lui était parfaiteme­nt égal d’enlever cette phrase. Dès l’enregistre­ment, j’ai adoré sa façon d’enchaîner les ‘wo wo wo wo’, je me suis dit : ‘Ça y est, je suis vraiment chez Christophe.’ Et Christophe était vraiment un être à part.”

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