Les Inrockuptibles

Sébastien Tellier

- Propos recueillis par F. V.

Enfant, il découvre Succès fou. Cette passion pour Christophe ne le quittera plus et, au cours de leur longue amitié, ils chanteront régulièrem­ent en duo.

“Plus les heures passent depuis l’annonce de sa disparitio­n, plus Christophe me manque. J’ai encore du mal à réaliser qu’il ne soit vraiment et définitive­ment plus là. Je ressens une profonde tristesse. On ne se parlait pas tous les jours, mais Christophe a eu une importance capitale dans ma carrière. Dans le tableau que je me fais de la vie artistique, il avait une place de choix. Il faisait partie des grands seigneurs. En 1983, à l’âge de 8 ans, j’ai découvert Succès fou sur une compilatio­n cassette au milieu d’autres tubes internatio­naux, que je passais en boucle sur ma petite chaîne hi-fi. Cette chanson me faisait rêver. Comme lui, j’avais envie d’aller à l’école avec des gants blancs, d’avoir un style différent et de chanter Succès fou à mes copains. Ce titre m’avait torpillé le cerveau, sans trop savoir pourquoi. J’écoutais intimement la voix de Christophe dans ma chambre, il me touchait déjà profondéme­nt.

En 2006, j’ai repris La Dolce Vita sur Sessions grâce à Rob, mon claviérist­e de l’époque, qui me l’avait fait découvrir. J’avais fondu en larmes en découvrant

La Dolce Vita. Elle collait tellement bien à ce que j’avais envie d’exprimer en français. C’est quasiment impossible d’atteindre la coolitude d’un morceau en anglais dans notre langue. En réinterpré­tant La Dolce Vita, j’avais l’impression de devenir aussi cool qu’un chanteur américain. Cette reprise de Christophe fait depuis partie de ma set-list en concert, c’est toujours un moment émotionnel fort. Il nous est arrivé de l’interpréte­r en duo, notamment au Festival internatio­nal de mode 2015, à Hyères, en l’honneur de Karl Lagerfeld. Dans ces occasions-là, je me collais à Christophe et je regardais attentivem­ent sa manière de poser ses mains sur le piano et de placer sa voix.

En ayant la chance de le côtoyer depuis une quinzaine d’années, j’ai découvert la vie mystérieus­e de Christophe. Il aimait le mystère, le secret et ce qui brillait en toute discrétion. On pouvait dîner dans des restaurant­s planqués dans le

XIIIe arrondisse­ment de Paris, à manger des plats pseudo-interdits. Il était d’une grande gentilless­e et d’une grande politesse avec tout le monde. Dans nos déambulati­ons nocturnes, j’ai l’impression d’avoir erré dans des voyages poétiques.

L’homme était encore plus mystérieux que l’artiste : sa manière de parler, sa façon de porter ses fringues. La dernière année, il portait son blouson sur une seule épaule et se baladait partout avec un sac orange plutôt banal qu’il adorait (sourire). Le mystère de Christophe était aussi sa manière de faire rêver les gens. En même temps, il était capable de se confier très librement. La nuit où l’on a enregistré Señorita pour son album de duos, Christophe m’a parlé de son enfance, de sa mère couturière qui travaillai­t chez Balmain, il me racontait tout. Christophe était un mystère prêt à s’offrir et à se dévoiler. C’était un artiste absolu et romanesque qui n’écoutait que ses instincts, ses pulsions et ses élans du coeur. Il était d’une sincérité totale. Christophe incarne l’artiste d’un autre temps. C’était une étoile filante.”

 ??  ?? Chez lui avec Sébastien Tellier, en 2012
Chez lui avec Sébastien Tellier, en 2012
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France