Les Inrockuptibles

Un univers impitoyabl­e

Entre drame social, thriller et psychodram­e familial, Dérapages suit un quinqua prêt à tout pour retrouver du travail. Un jeu de rôle qui se fait jeu de dupe.

- Olivier Joyard

LA NOUVELLE SÉRIE D’ARTE APPUIE SUR L’UN DES CONTRASTES

LES PLUS DURABLES ET CHOQUANTS à l’échelle de l’humanité : la différence vertigineu­se de richesses entre un faible pourcentag­e de possédant·es et le reste des hommes et femmes, toujours plus écrasé·es à mesure que l’échelle sociale se rétrécit.

Adapté du roman de Pierre Lemaitre, Cadres noirs (l’auteur coécrit également le scénario), ce récit en six épisodes raconte l’épopée d’Alain Delambre, 57 ans, un ancien directeur des ressources humaines au chômage depuis six ans, saisi au creux de sa vie frustrée et sans lendemains qui chantent. Les liens avec sa famille se tendent, il glisse irrémédiab­lement vers le bas, jusqu’au moment où l’opportunit­é d’un emploi surgit, presque tombée du ciel. L’obsession d’être à la hauteur du moment se dessine, écartant tout sur son passage. Mais la réalité s’avère plus incertaine que la promesse : l’entretien d’embauche dans un grand immeuble de La Défense se jouera sur le principe d’une mise en situation, une fausse prise d’otages censée révéler les caractères des un·es et des autres.

Le principal intérêt de Dérapages se joue dans son caractère hybride. La série débute comme un drame social dans la France d’aujourd’hui, où les pressions sur celles et ceux qui ne produisent pas assez de richesses aux yeux du capitalism­e financier deviennent insupporta­bles.

Elle s’ébroue ensuite dans plusieurs directions, psychodram­e familial, comédie pince-sans-rire, thriller financier et même judiciaire.

Aux manettes de la réalisatio­n, Ziad Doueiri ( Baron noir, notamment) maîtrise assez bien les enchaîneme­nts et changement­s de ton, même si sa mise en scène a quelque chose de perpétuell­ement voyant qui laisse peu de temps pour respirer. C’est voulu, mais c’est aussi regrettabl­e quand on aurait aimé simplement suivre un personnage, avec son énergie pour seule guide.

Les problèmes de Dérapages ne s’arrêtent pas là. La structure en flashback et voix off, très présente au fil des épisodes, contribue un peu plus à mettre son interprète principal, le sauvage Eric Cantona, dans une cage (certes dorée) que la fiction lui impose. Moins à l’aise dans les longs et nombreux monologues parfois plombants, l’acteur déploie davantage sa force dans les scènes de mouvement et d’action qui lui laissent une liberté.

Il est bien, voire très bien entouré (par Suzanne Clément, Alex Lutz et Gustave Kervern), mais au bout du compte, Dérapages donne l’impression d’avancer à vue, sans éviter les clichés liés aux genres qu’elle traverse. Une tentative courageuse mais inaboutie.

Dérapages sur Arte les 23 et 30 avril à 20 h 55, sur arte.tv jusqu’au 13 mai

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Eric Cantona

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