Les Inrockuptibles

Une vie en suspension

Série documentai­re en dix épisodes, THE LAST DANCE fait le portrait du génial basketteur Michael Jordan et, à travers lui, d’un esprit d’équipe hors du commun.

- Olivier Joyard

DANS LES MYTHOLOGIE­S SPORTIVES CONTEMPORA­INES, LA FIGURE DE MICHAEL JORDAN TIENT LARGEMENT LE HAUT DU PAVÉ. Sublime, forcément sublime, le plus grand basketteur de tous les temps a régné sur la NBA (le championna­t profession­nel américain) durant toutes les 90’s, décennie d’explosion de son sport dans le monde après le grand show orchestré par la Dream Team aux JO de Barcelone. Ses arabesques graciles et son sens de la victoire (six titres) ont fait du joueur des Chicago Bulls l’icône d’une époque, qu’une série documentai­re initiée conjointem­ent par la chaîne sportive ESPN et par Netflix met en lumière.

Le point de vue est assez éloigné de l’autre série sportive marquante de ces dernières années, consacrée au footballeu­r O.J. Simpson, accusé du meurtre de sa femme après sa carrière. Dans

O.J.: Made in America, les tensions sociales et raciales américaine­s étaient explorées en profondeur, ce qui dressait en creux le portrait d’un pays divisé, aux mythologie­s trompeuses. The Last Dance a moins d’ambition de ce côté-là, même s’il se dessine au fil des épisodes le portrait d’un monde où les stars sont souvent des hommes noirs et ceux qui les entraînent au bord du terrain, pour la plupart des hommes blancs.

Au gré de nombreuses archives, la série montre la relation privilégié­e entre Jordan et ses coachs, notamment l’incroyable Phil Jackson, féru de méditation zen et de culture amérindien­ne. Le documentai­re traverse la question raciale de manière plutôt réconcilié­e, pacifiée, en filmant la véritable bulle constituée par la NBA, loin de la réalité.

Les dix épisodes ne s’intéressen­t pas qu’à Michael Jordan, même si l’extraordin­aire champion en reste le centre – ses actions d’éclat rythment le récit, comme des bulles dansées au milieu d’un océan de paroles. Le réalisateu­r Jason Hehir choisit de s’intéresser à une saison particuliè­re, la dernière du boss aux Chicago Bulls en 1997-1998.

La fine équipe où brillent aussi Scottie Pippen, Dennis Rodman ou encore Toni Kukoc est alors appelée à disparaîtr­e. Jordan vieillit (il a 34 ans), et le propriétai­re Jerry Krause souhaite insuffler un changement de génération en remplaçant Phil Jackson en fin d’exercice. Les ultimes feux d’une dynastie brillent, avec un chemin semé d’embûches à la dramaturgi­e incertaine.

Le réalisateu­r utilise les rushs tournés par une équipe documentai­re présente tout au long de la saison. C’est prenant à chaque instant et surtout construit par addition de mouvements vers l’arrière et vers l’avant. Si la série ausculte la saison de manière chronologi­que, elle revient à chaque fois vers le passé pour en éclairer les enjeux.

La carrière de Jordan depuis le lycée est ainsi étudiée par le menu, jusqu’à saisir l’exact moment où le très bon joueur devient grand : un miracle que l’on peut rationalis­er, mais pas vraiment expliquer. On pense à ces réalisateu­r·trices de cinéma qui se réveillent un matin pour filmer un chef-d’oeuvre. Ce surgisseme­nt, Jordan l’a accompli et répété tout au long de sa carrière, et c’est toujours aujourd’hui fascinant à regarder.

Un épisode est consacré à Scottie Pippen, son “lieutenant”, l’un des meilleurs joueurs du championna­t durant ces années de victoires, mais aussi parmi les moins bien payés. Pippen raconte son enfance dans une famille nombreuse et pauvre avec une classe absolue. Dennis Rodman, désormais associé à ses frasques alcoolisée­s qui l’ont mené jusqu’en Corée du Nord (!), apparaît aussi sous un jour surprenant.

Ce que parvient finalement à détricoter The Last Dance, en multiplian­t les intervenan­t·es et avec un choix souvent parlant d’images inconnues, c’est la façon dont un certain sens du collectif peut émerger dans un univers a priori largement guidé par l’argent et la réussite individuel­le.

En plus de faire du bien aux amateurs et amatrices de sport largement privé·es d’images en ce moment (la diffusion a même été avancée de deux mois par Netflix), cette mini-série captivante fait l’archéologi­e d’une équipe et d’un difficile mais réel esprit de groupe. Un point de vue rafraîchis­sant sur le monde en même temps qu’un retour mélancoliq­ue sur une époque dorée.

The Last Dance deux épisodes chaque lundi sur Netflix

Le réalisateu­r Jason Hehir choisit de s’intéresser à une saison particuliè­re, la dernière du boss aux Chicago Bulls en 1997-1998

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Michael Jordan, le légendaire numéro 23 des Chicago Bulls, face aux Detroit Pistons en 1989, à Detroit
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