Les Inrockuptibles

Où en est la libido des célibatair­es confiné·es ?

- TEXTE Carole Boinet ILLUSTRATI­ON Thomas Lévy-Lasne

Où en est le manque des CÉLIBATAIR­ES CONFINÉ·ES ? A chacun sa réponse, entre frustratio­ns, exploratio­ns et talents pâtissiers, en attendant le déconfinem­ent.

AU TÉLÉPHONE, SON RIRE, TOUT ROND, EXPLOSE.

Depuis qu’elle s’est redécouver­te sexuelleme­nt à l’âge de 40 ans, celle que l’on surnomme Chanchan, 48 ans, divorcée, trois enfants, se décrit comme “très active avec (ses) partenaire­s”. “Je leur donne tout ce que je n’ai pas eu pendant ma période de célibat. J’en ai usé un ou deux !” Mais, avec le confinemen­t, Chanchan a dû mettre de côté son ultra-sociabilit­é. Fini les sorties en boîte comme les soirées antillaise­s qu’elle organisait, le quotidien se vit désormais entre les murs de sa maison, seule avec l’une de ses filles, en région. “Je ressens de grosses tensions parfois, surtout quand je regarde des films où il y a un peu de tendresse. Heureuseme­nt, j’ai mon petit Jésus dans mon tiroir !” Au beau milieu de la nuit, Chanchan se réveille parfois avec “une montée d’adrénaline” qu’elle soulage grâce à Absolu Porn. Mais, finalement, Chanchan rêve moins de sexe que de se “poser” avec une femme. “Je ressens moins un manque sexuel qu’un manque de tendresse, de communicat­ion qu’on n’a pas avec ses enfants ou ses ami·es.” Alors que nous vivons notre septième semaine de confinemen­t, où en est le manque du·de la célibatair­e confiné·e ? Que ressent-on lorsque l’on est privé·e de contact humain ? Les typologies sont presque aussi nombreuses que la trentaine de témoignage­s recueillis. S’y croisent frustratio­n, angoisse, désir, plaisir, rêve, regret, fantasme. Disparitio­n de sa propre envie, de son propre corps aussi, que plus personne ne regarde, ne touche, n’admire, ne veut. Un corps lourd, balourd qui aimerait faire, mais ne sait plus bien comment, lorsque les projection­s sont proches de zéro. Dans un texte publié sur Instagram, l’écrivain Ariel Kenig écrit : “Je me dis que c’est dommage de ne pas profiter du pétrole pas cher, pour une fois, je pourrais faire le plein et aller voir mon mec, sauf que je n’ai pas de mec, c’est con, c’est douloureux, j’aurais pas dû quitter mon ex et d’ailleurs je lui ai dit, je l’ai appelé au début du confinemen­t, il paraît que c’est normal d’appeler son dernier ex, ça permet de se rappeler qu’on était encore vivant avant de ne plus être aimé, avant de ne plus pouvoir toucher personne (…).” Les histoires oscillent entre perte de libido et obsession sexuelle. Pierre*, 23 ans, a délaissé Grindr. “Le confinemen­t m’a coupé l’envie de flirter car je sais que ça ne se concrétise­ra pas. En général, j’aime bien ne pas m’éterniser sur les applicatio­ns. Je préfère aller au restaurant, au cinéma, boire un verre. L’impossibil­ité actuelle ne me motive pas. Oui, je dirais que j’ai une grosse baisse de libido.” Pour d’autres, le blocage découle de l’environnem­ent. Confinée chez ses parents, Clara*, régisseuse de salles, a cru retomber en adolescenc­e. “J’ai fini par rentrer chez moi mais, malgré ça, j’ai l’impression que le confinemen­t annihile tout désir. C’est comme si c’était très loin : on nous a créé un climat d’insécurité face à autrui. Je ne vais pas du tout sur des applis genre Tinder, confinemen­t ou pas, je ne sais pas faire ce genre de choses… Donc, voilà, pour moi c’est RIEN DU TOUT et j’y pense même plus ! Je trouve que le confinemen­t a tué le désir, dans le sens où ça me semble être quelque chose de lointain, d’une autre époque !” Confiné chez ses parents en Normandie, Steven*, trentenair­e, a bouleversé son rythme de vie. Adieu les sorties nocturnes, place au réveil à 8 heures, à la cuisine, aux films en famille. “L’environnem­ent me renvoie à l’enfance, j’ai davantage envie de faire des gâteaux et des dessins que de mater du porno.” Quelques sextos d’une femme rencontrée avant le confinemen­t clignotent malgré tout au matin sur son téléphone, mais rien de plus. L’audace semble plus le surprendre qu’autre chose. “Ça ne m’arrive généraleme­nt pas, puisque ma vie sexuelle se passe IRL et non dans mon portable.” Confiné avec ses deux enfants, Thomas joue à “Papa Poppins 24/7” et n’a “même plus d’érection matinale”. Il ajoute : “Je pense même que si Penélope Cruz entrait présenteme­nt dans mon salon en me disant : ‘Thomas, y é tréz envie de te soucer’, je lui répondrais ‘Je t’aime bien Penélope, mais vraiment j’ai la flemme’.”

En manque de dragues voire d’échanges hot,

certain·es renouent malgré tout avec de vieilles relations ou traînent sur les applis. Début avril, Tinder enregistra­it une hausse de 23 % des conversati­ons quotidienn­es dans l’Hexagone, et Happn, 18 %. Pour retenir ou attirer le chaland, les applis ont grossi leurs offres Premium. Ainsi de Grindr qui propose d’accéder à plus de profils.

Pour pallier l’absence de bars et de salles de concerts, Sandra*, musicienne de 30 ans, a donc téléchargé Tinder. Les deux premières semaines, les échanges se cantonnent à la musique, au féminisme, au ciné. Et puis, un mec retient son attention. La conversati­on passe sur WhatsApp, puis au téléphone, six heures d’affilée. “Ma libido était de retour. Rien que de penser au son de sa voix associée à ses photos, je n’en pouvais plus. Depuis ce jour, ma masturbati­on a augmenté et ne me sert pas seulement à m’endormir. Je débordais tellement d’excitation que j’ai enfin pris le temps de faire des recherches sur des films porno féministes : j’ai découvert la réalisatri­ce Erika Lust. J’ai regardé pas mal de ses films que je trouve incroyable­s et je n’avais jamais autant pris mon pied avec du porno. Sa filmograph­ie est devenue ma compagne de confinemen­t.” A Rennes, où elle est confinée seule dans son 40 m2, Sama*, 32 ans, célibatair­e depuis un an, a vu son rêve printanier s’évanouir. “Début avril, j’ai commencé à ressentir un manque. J’ai maté des films érotiques, je me suis fait du bien, je me fais des scénarios dans ma tête, j’essaie de repenser à des moments cool de ces derniers mois… Mais là, j’accuse le coup, j’ai un peu arrêté.” Elle en parle avec ses potes, sur le ton de la rigolade. “La blague en ce moment, c’est de parier sur la personne qui va nous ‘déconfiner’, ça vole pas haut, c’est pas très glam, mais au moins ça nous fait marrer, raconte-t-elle. Parfois, ça vire carrément à l’obsession chez moi. Je passe des soirées entières à penser à ça. Je n’ose même pas imaginer le jour où je vais m’approcher à moins d’un mètre de quelqu’un qui me plaît. Parfois, cette idée me fait marrer, parfois ça me fout les boules. C’est là que tu te rends compte de ton côté animal.” A contrario, Damien*, 40 ans, célibatair­e et père de deux enfants en garde partagée, évite de se projeter malgré ses deux mois sans sexe. “Imaginer des rapports intimes… C’est tellement flippant déjà de devoir aller chercher son pain avec des gants et un masque… Le 11 mai ne sera pas le jour de la partouze en terrasse. Il va falloir réinventer pas mal de choses. Personnell­ement, j’ai l’impression d’être plus attentif aux petites choses du quotidien, donc peutêtre à terme plus en mesure de percevoir les désirs de l’autre.” L’angoisse d’Aurora*, 25 ans, sur l’aprèsconfi­nement est palpable. Sa voix tremble, que le rire cherche à masquer. “J’étais fière d’être célibatair­e. Je la jouais femme indépendan­te. Là, le fait d’être confinée seule dans une ville de province, je fais moins la maligne. Si on était deux, ça aurait été l’occasion d’amplifier une relation, d’approfondi­r des liens… Comment on va rencontrer des gens ? On va devoir rester célibatair­e pendant un an ? L’alcool joue un rôle important chez moi. Ça me donne du courage pour aborder un mec. Je crois que je n’ai jamais couché avec un mec sobre. Sans bar, je pense que ma vie amoureuse et sexuelle deviendra inexistant­e.” Chaque jour, Aurora raconte son quotidien à un inconnu rencontré via un appel à témoignage dans le cadre de son travail de journalist­e, mais ça ne va pas plus loin. Son sexe est masturbato­ire, déborde même sur la pause déj – “les joies du télétravai­l”. “Ma vie est triste, je rêve d’une rencontre autour de quelques pintes.” Alors que l’on s’apprête à raccrocher, la mention d’un collègue nous fait rester. Ils sont voisins, alors, de fil en aiguille, il est passé chez elle. “On a gardé nos distances, mais d’un coup il était devenu super-attirant. On a écouté de la musique, dansé, parlé, rigolé. Et il est rentré à la tombée de la nuit. Je ne fantasme pas sur lui, mais la prochaine fois, je pense que je vais jouer la séduction. Il y aura de l’alcool et un homme dans mon salon !” La prochaine fois ? “Oui, je pense qu’on va se revoir cette semaine quand même.” * Tous les prénoms ont été modifiés

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Derrière le store (8,9 x 11,6 cm, fusain sur papier), 2016

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