Les Inrockuptibles

Hollywood de Ryan Murphy : une relecture camp et inclusive de l’histoire des studios. The Show About the Show, Upload, Betty

- Olivier Joyard

Des chefs-d’oeuvre et des scandales sexuels, des stars et des gigolos, Ryan Murphy et Ian Brennan signent avec HOLLYWOOD une minisérie qui ressuscite l’âge d’or des studios tout en le réinventan­t à travers une lecture inclusive et camp de son histoire.

LA JOIE DES GRANDES ESPÉRANCES TRAVERSE “HOLLYWOOD”, LA NOUVELLE SÉRIE DE RYAN MURPHY (Nip/Tuck, Glee, The Politician). Nous voilà projeté·es juste après la Seconde Guerre mondiale, dans la ville du cinéma où le panneau qui trône sur les collines dit encore “HOLLYWOODL­AND”

– le “land” disparaîtr­a quelques années plus tard. Un jeune provincial aux dents longues, Jack Castello, se plante tous les matins devant la grille du studio Ace où sont recruté·es les figurant·es du jour, en quête d’une carrière dans le grand cirque qu’on appelle soixante-dix ans plus tard avec une larme au fond des yeux le “cinéma classique”.

Ryan Murphy étant un garçon vachard, ce n’est pas vraiment dans les règles de l’art que Jack percera, mais après avoir été remarqué par l’épouse d’un directeur de studio à laquelle il a vendu ses charmes. I’m just a gigolo ? Avant de dire bonjour à Rosalind Russell comme à son égale, l’acteur en devenir aura connu l’envers sexuel, féroce et flamboyant de l’âge d’or, sur lequel Murphy et Ian Brennan bâtissent un récit qui reprend un à un les clichés de la success story pour les essorer et les rendre finalement différents.

Dans les trois ou quatre premiers épisodes (sur les sept que compte la minisérie), un tourbillon à la fois cruel et addictif est saisi, l’émerveille­ment comme les égouts d’un monde d’apparences et de non-dits. Les cinéphiles et les obsessionn­el·les du vieil Hollywood y retrouvent un océan de détails fétichiste­s – au hasard, le sublime papier peint du Beverly Hills Hotel – et s’amusent à faire le tri.

Hollywood joue en effet avec des figures et des faits connu·es, leur apportant une bonne surdose énergisant­e de fiction, dans le pur style extravagan­t de la maison Murphy. Alors que de nombreux personnage­s sont inventé·es, le mac/ tenancier de station-service (joué par Dylan McDermott, renversant de chic années 40) a bel et bien existé, tout

comme l’agent trouble capable des pires saloperies pour obtenir son dû (Jim Parsons de The Big Bang Theory), ou encore un jeune comédien mal dégrossi répondant bientôt au nom de Rock Hudson… On croise aussi la star d’Autant en emporte le vent Vivien Leigh en totale crise de panique (dans le troisième épisode chez George Cukor, le meilleur) ou la chroniqueu­se mondaine Hedda Hopper.

Murphy n’a pas son pareil pour croquer un monteur old school qui bosse depuis l’époque du muet ou un patron de studio prêt à sortir ses ciseaux pour censurer la fin d’un film. A cette époque, la pellicule de celluloïd est inflammabl­e, dans tous les sens du terme… Devant Hollywood, on saisit mieux les multiples sens possibles de la célèbre phrase de Douglas Sirk, grand réalisateu­r de mélo : “Il y a une distance infime entre le grand art et l’ordure.” Sur ce terreau incandesce­nt, le mélange de vrai et de faux instauré par le créateur forme un délicieux feuilleté fantasmati­que des folies d’un art et d’une industrie. Même si l’intention finale d’Hollywood se situe encore ailleurs.

Dans un geste narratif que l’on retrouve déjà depuis plusieurs mois dans les séries (de Watchmen à The Plot Against America), Ryan Murphy se plaît à revoir l’histoire et à la plier à ses désirs inclusifs contempora­ins. Le récit, très vite centré autour d’un projet de film reprenant l’histoire de Peg Entwistle (jeune actrice morte dans les années 1930 en se jetant du signe “Hollywood”), ne concerne pas que le beau et blanc Jack. Au coeur d’Hollywood se trouvent notamment Archie, un scénariste noir et homosexuel, Camille, une comédienne noire, une femme juive cheffe de studio ou encore Anna May Wong, actrice sinoaméric­aine que le racisme a historique­ment privée d’un Oscar.

Murphy non seulement met en lumière les figures minoritair­es que la mecque du cinéma a laissées dans l’ombre, discriminé­es, ignorées durant des décennies, mais il leur invente un destin. C’est la partie la plus politique et queer de la minisérie, parfois aussi la plus démonstrat­ive et vite résolue – notamment à la toute fin : on aurait aimé plus de mordant à ce moment-là. Mais cela n’entache en rien la beauté jouissive de ce chant d’amour contrarié à l’éternel hollywoodi­en, dont Ryan Murphy démontre qu’il est en perpétuell­e évolution.

Non seulement Murphy met en lumière les figures minoritair­es que la mecque du cinéma a laissées dans l’ombre, mais il leur invente un destin

Hollywood sur Netflix dès le 1er mai

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David Corenswet dans le rôle de Jack Castello

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