UNE TROP BRUYANTE SOLITUDE DE BOHUMIL HRABAL
Ces derniers jours, j’ai repensé à ce court roman tchèque, publié clandestinement dans les années 1970, dont les enseignements n’ont pas fini de résonner en nous. Au fond de la cave d’une usine, depuis trente-cinq ans, Hanta broie sur sa presse mécanique les tonnes de livres interdits qui déferlent sur lui par une trappe. Dans son souterrain, ce Sisyphe pragois passe ses journées à transformer en gigantesques cubes de papier les chefs-d’oeuvre de la littérature mondiale, du Talmud à Lao Tseu, en passant par Goethe, Nietzsche ou Rimbaud. Ce qui ne l’empêche pas d’être un ouvrier comblé, savourant sa “solitude peuplée de pensées vivifiantes”. Parfois, au sortir de son antre, il croise des personnages désespérés, comme ce Tsigane, dont la culture a elle aussi été consciencieusement effacée et qui continue à prendre des centaines de photos alors qu’il n’y a plus de pellicule dans son appareil. Jusqu’au jour où Hanta, jugé obsolète, est remplacé par des ouvriers qui détruiront bientôt même les livres encore vierges, “avant qu’une seule de leurs pages ait pu souiller le coeur ou le cerveau d’un homme”. Une trop bruyante solitude est un classique à (re)découvrir où l’humour noir, l’imaginaire débridé et le geste politique se rejoignent. Un grand livre de résistance, qui dit non à l’enfermement des esprits. Aujourd’hui, des millions de livres invendus sont pilonnés, puis recyclés en papier toilette. Un destin ironique qui n’aurait pas manqué d’inspirer Bohumil Hrabal.
Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal (Pavillons Poche/Robert Laffont, 2015). Disponible en version numérique