Emmanuelle Bayamack-Tam, écrivaine
SIX FEET UNDER (ATTENTION, SPOILERS)
Je n’ai pas attendu le confinement pour revoir Six Feet Under et vérifier que la série n’a pas pris une ride en vingt ans. C’est la troisième fois que j’en regarde les 63 épisodes, avec à chaque fois le même intérêt et les mêmes émotions complexes. Car on n’aura rien dit de SFU si on se contente de dire qu’Eros et Thanatos y sont puissamment à l’oeuvre et constamment intriqués.
Les fictions, même (voire surtout) les plus médiocres, donnent rarement autre chose à voir que cette intrication. La mort est le métier de la famille Fisher, et la mort inaugure chaque nouvel épisode de la série. Une mort généralement brutale et spectaculaire. On meurt rarement à l’hôpital, dans SFU. On y est plutôt tué par un puma, assassiné par un proche, décapité dans sa voiture ou électrocuté dans sa baignoire… On meurt sous l’implacable soleil californien, dans une ville, Los Angeles, qui s’ingénie précisément à nier la décrépitude et la mort. La mort, et c’est encore un cliché que de le dire, est démocratique : elle touche tout le monde et amène dans les salons funéraires des Fisher toutes sortes de familles plus ou moins désemparées : des juifs, des bouddhistes, des Amish, des Afro-Américains, des membres de gangs, des Hell’s Angels, des acteurs du porno, des ouvriers, des traders, des footballeurs… Cette répétition et cette recherche de la diversité dans la répétition pourraient avoir quelque chose de mécanique et de lassant, mais tout le talent d’Alan Ball consiste à mettre en résonance la singularité de chaque mort avec ce que vit tel ou tel membre de la famille. Et la série devient proprement géniale quand la mort frappe l’un des Fisher et que les gestes et les rituels professionnels sont soudain ceux dont on entoure le cadavre du fils aîné, ce Nathan que nous avons suivi, d’échec en échec, avec l’envie de lui souffler à l’oreille les mots de Beckett : “Echoue encore, échoue mieux.” Et pour apprendre à finir, rien de tel que les dernières minutes de la série, lumineuses et lyriques, magistrale leçon de vie et de mort qu’accompagne le Breathe Me de Sia.
Six Feet Under d’Alan Ball. Disponible sur Amazon Prime Video, Canal VOD, Google Play, YouTube