Aurélien Bellanger, écrivain
LES AFFINITÉS ÉLECTIVES DE GOETHE DE WALTER BENJAMIN
Après dix ans d’exercice officiel du métier d’écrivain, arrivé au moment redoutable où j’ai commencé à me demander comment gérer les dix années qui viennent, je suis tombé, comme dans un piège, dans l’oeuvre de Walter Benjamin, critique allemand génial que j’avais jusque-là survolé comme une petite déité du kitsch intellectuel. Je ne l’avais jamais lu sérieusement – c’est un penseur spécialement difficile. Je me suis confiné, loin de chez moi, à la campagne, avec son essai sur Les Affinités électives de Goethe. Et comme j’avais le temps d’être sérieux, j’ai aussi emporté celles-ci, que j’ai lues comme un préambule. Goethe a alors atteint la maturité de sa vie d’artiste, il écrit comme en pleine conscience, maîtrise comme personne le métier d’écrivain. C’est ce que j’ai constaté à ma lecture. Mais en lisant, lentement, péniblement, le long essai de Benjamin comme on tirerait d’un vieux secrétaire un compartiment secret qui s’avérerait à la fin aussi grand que le meuble entier, j’ai redécouvert le métier d’écrivain – son pacte avec l’étrange, avec des mystères plus fermés encore que ceux de la philosophie. Son rapport unique à la vérité. Il n’existe pas, le Goethe de Benjamin en apporte la preuve, d’écrivain blasé, de romancier roublard ou tacticien. La littérature était redevenue une énigme et j’ai avancé dans ma double lecture, celle du roman et de sa critique géniale, comme à la découverte du secret qui me tiendrait éveillé encore pendant la seconde moitié de ma vie.
Les Affinités électives de Goethe de Walter Benjamin, in OEuvres, I (Folio Essais, 2000), folio-lesite.fr