Les Inrockuptibles

Marie Darrieusse­cq, écrivaine

SOLARIS DE STANISLAS LEM

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Au début du roman de Stanislas Lem, Kelvin est envoyé sur la planète Solaris. Solaris est tout entière faite d’un océan

– un plasma, une sorte de gelée – qui semble vivant. La base construite pour quatre-vingts humains n’abrite plus que trois scientifiq­ues, dont un s’est déjà suicidé quand Kelvin débarque. Les deux autres semblent accompagné­s de créatures qu’ils cachent. Kelvin est veuf. Mais voici que sa femme est là. C’est elle. Son corps. Sa voix. Son souffle. Ils font l’amour. Sa peau est chaude. Son coeur bat. Son sang est rouge, mais au microscope aucun de ses atomes n’a de noyau. Elle est un vide. Elle est la revenante absolue. Sa femme qui n’est pas sa femme et qui est pourtant sa femme est un être de plasma, une écume humanoïde qui semble aussi perdue que Kelvin face à la situation. Toute la base perd le sommeil. Chacun reste isolé dans sa cabine à vouloir tuer son monstre mais à se laisser obséder. Pendant ce temps l’océan bat, imperturba­ble, refusant toute interactio­n. Stanislas Lem tient une idée formidable : cet océan qui nous envoie ce qui nous manque le plus. Mais au lieu de laisser proliférer la métaphore – l’amour, la mort, l’absence, l’enfermemen­t –, il s’enlise dans des explicatio­ns scientifiq­ues déjà obsolètes. Et c’est parce que ce roman est génial et raté à la fois qu’il laisse tant de place au cinéma : Tarkovski en 1972 (grand prix du Festival de Cannes malgré les coupes de la censure soviétique), Soderbergh en 2002, avec Clooney dans le rôle de Kelvin, Ryûsuke Hamaguchi en 2007. Place au cinéma et à nos songes. Solaris de Stanislas Lem (Folio SF, 2017), gallimard.fr

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