Nadav Lapid, cinéaste
LA PEINTURE DU GRECO
Wikipédia, qui ne se trompe jamais, écrit sur le peintre Le Greco :
“Certains historiens de l’art et médecins positivistes, tels que Maurice Barrès au début du XXe siècle, suggèrent qu’El Greco souffrait d’un problème oculaire, peut-être une malformation de la rétine, qui aurait influé sur sa peinture : un oculiste espagnol, le docteur German Béritens, a soutenu (…) que c’était de l’astigmatisme (…).
La preuve : prenez chez un opticien les verres de lunettes que prescrivent les oculistes
(…), la toile d’El Greco vous apparaîtra immédiatement normale, naturelle, totalement dépourvue de ces fautes de proportions déformantes.”
Que ce soit vrai ou faux, qu’y a-t-il de plus admirable qu’un artiste dont on se dit, en visionnant son oeuvre, qu’elle ne peut provenir du monde “normal”, tel qu’on le connaît. Quelque chose est forcément cassé, ses yeux à lui, nos yeux à nous, la toile, l’écran. C’est seulement en déformant notre regard, en essayant de calmer notre esprit secoué que l’on peut formater la déformation. Parfois, on essaye, mais avec Le Greco, cela ne marche pas. Elle nous hante cette déformation sans remède.
Le fameux mot d’ordre expressionniste (ne pas dessiner la voiture, mais l’émotion que la voiture suscite en moi), Le Greco l’a mis en application alors qu’il y avait à peine des chariots.
Son désespoir joyeux, festif, bouillonnant, tourmenté, sans répit, le désespoir du mouvement éternel de corps humains pourtant stables. L’immobilité au coeur du mobile. Tellement plus radical et profond que de sanctifier le mouvement du mouvant, à l’instar de la vision futuriste. Le peintre mi-aveugle qui fête la liberté d’une réalité floue. Totalement libre des exigences banales de précision, de perfection, de certitude. Se laissant traîner par la joie des vibrations.