Félix Moati, comédien et cinéaste
PHOTOGRAPHS 1997-2017 DE HANNAH STARKEY
J’aime cette photo. Je la découvre tout juste. Miracle d’un oeil avisé – celui de Hannah Starkey, pas le mien –, miracle aussi de certaines images qui savent, dans un contexte donné, vous rencontrer. Je ne sais pas si j’aurais vu la même chose il y a quelque temps. Je ne sais même pas si j’aurais su la regarder
– je veux dire la regarder réellement. J’ose espérer que je ne suis pas le seul confiné à avoir la vertigineuse impression d’être pris dans un monde d’images toujours plus rapide et généralement toujours plus illisible et de ne plus rien voir vraiment. J’aime donc cette photo que je découvre tout juste, par le miracle d’une “amie” avisée. Je la regarde – c’est-à-dire que j’essaie d’être attentif et précis, de ne pas hâter mon jugement, de ne pas la balancer d’un coup, comme les autres, dans le monde de toutes ces images trop vite vues, trop vite balayées, au profit de flux d’informations trop vite décrites et toujours aussi peu lisibles.
Et là, miracle, à nouveau cette image : moi, Félix, homme de 29 ans, je m’identifie à cette femme enceinte – à demi plongée dans une eau qui paraît fraîche, à l’ombre, elle s’est déjà un peu avancée vers la lumière, et semble regarder un dehors radieux auquel elle n’a pas accès, en attendant que ça passe… Voilà, je crois qu’en ce je ne sais plus combientième jour de confinement, je suis cette femme enceinte anonyme, sans trop d’espoir, sans trop de peurs, qui attend que ça passe sans cette injonction étrange à réussir quoi que ce soit. Je regarde le dehors, ça a l’air beau, je m’avance vers la lumière et j’attends. Merci Hannah Starkey.
Photographs 1997-2017 de Hannah Starkey (Mack, 2018), mackbooks.co.uk