Les Inrockuptibles

Vincent Dedienne, comédien, auteur et metteur en scène

L’ACTRICE ANÉMONE

-

Je suis confiné avec des amis, et avec des amis, qu’est-ce qu’on fait ? On fait des Uno, des frites, on descend méthodique­ment des hectolitre­s de rosé… et, de temps en temps, on dit des répliques de films. Pour faire passer le temps, ou pour l’arrêter.

Et à force de rire en s’envoyant des morceaux du Père Noël est une ordure

– “Y a un monsieur très malpoli qui a appelé, il voulait enculer Thérèse. – Oui mais c’est un ami. – Ah bah ça va alors !”, “C’est horrible, vous allez vous faire broyer”, “Moi je vais aux girafes parce que n’est-ce pas je suis plus grand”, ou le chef-d’oeuvre “Votre gueule, Thérèse !” –, on finit par re-re-re-re-re-re (x16) regarder le film tous ensemble, en riant toujours autant, aux mêmes endroits.

Et puis, au milieu d’un rire, on se souvient qu’Anémone est morte il y a un an et que ça nous avait rendus drôlement tristes.

Elle ne faisait rien pour être particuliè­rement aimable, Anémone, surtout les derniers temps. Mais, par une alchimie secrète, moins elle faisait d’effort et plus on l’aimait. On l’aimait pour toujours. Il y a des choses comme ça, des amours, qui sont définitifs. On regarde aussi Le Grand Chemin, et on se dit que décidément il n’y en a pas deux comme Elle.

Quand elle dit “Je pleure pas je mouche”, on a beau l’avoir vu il y a vingt ans, on se souvient de la réplique, de l’intonation, du grain de la voix, de tout.

On fait défiler des photos sur Google Images, on écarquille les yeux devant sa beauté à 30 ans.

On regarde ce moment de la cérémonie des Césars 1988. Sabine Azéma dit :

“La gagnante est Anémone”, et la voilà qui dévale l’escalier à toute berzingue, elle dit pas Bonsoir, elle dit ni Merci ni Merde, elle parle de sa tenue, de ses bijoux, elle prévient qu’on “vient d’entrer dans l’ère du Verseau” et puis avant que Drucker n’ait pu dire un mot, elle dit “Salut les mecs” et elle se barre en courant. Sans son César.

On passe des heures sur YouTube à regarder de vieilles interviews, les bien, les moins bien, les sérieuses, les éméchées, les empêchées, les chez Ruquier, chez Ardisson, les conceptuel­les débiles à l’arrière d’un taxi où elle raconte que c’est la société qui l’a forcée à avoir des enfants, qu’elle aurait sûrement eu une vie plus riche si elle ne les avait pas eus, mais que “c’est quand même bien fait parce que, quand ils sont là, on est obligé de les aimer”.

On trouve ça logique, on trouve ça libre. On trouve ça beau.

Et puis on regarde une de ses dernières apparition­s sur la scène du Théâtre de Paris, lors du bel hommage rendu par Pierre Palmade à Sylvie Joly. Anémone y avait joué un sketch méconnu, Le Bissel. Avant même de dire un mot, toute la salle riait et applaudiss­ait, trop heureuse de la retrouver et de lui dire Je t’aime. Je t’aime et tu n’y peux rien. Voilà, c’est ça qu’on fait pendant ce confinemen­t. On aime Anémone.

 ??  ?? Anémone dans
Le Quart d’heure américain de Philippe Galland (1982)
Anémone dans Le Quart d’heure américain de Philippe Galland (1982)

Newspapers in French

Newspapers from France