Les Inrockuptibles

Jeanne Balibar face aux annonces de l’Etat pour la culture

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Pourquoi avez-vous choisi de publier cette seconde tribune ?

Jeanne Balibar — A l’issue de la première tribune que nous avons publiée dans Le Monde, l’Elysée nous a contactés et nous a invités à envoyer un mail pour préciser ce que nous voulions. Nous l’avons fait en mettant en relief les deux points essentiels de notre tribune : un grand plan d’ensemble et, au-delà même de la situation des intermitte­nts du spectacle, une attention à tous les travailleu­rs qui ont des emplois discontinu­s. Dans la foulée, l’Elysée a communiqué sur les annonces à venir du Président. Nous les avons bien sûr écoutées en direct et ensuite nous nous sommes retrouvés avec Eric Toledano, Olivier Nakache et Sandrine Kiberlain, qui participai­ent à la discussion avec Emmanuel Macron, pour discuter de ce qui venait d’être dit.

On s’est rendu compte qu’il y avait quelques annonces très précises concernant la production cinématogr­aphique. Mais elles portaient sur des points qui étaient déjà en discussion avant le Covid : à savoir faire participer les plateforme­s à la création cinématogr­aphique ou encore la question du piratage. Mais, sinon, pour toutes les autres questions pour le cinéma et pour tous les autres arts, les mesures étaient très floues. C’est un élément qui nous est beaucoup revenu du monde de la musique par exemple : les salles, les concerts, les tourneurs, tout ce qui concerne le live en musique, rien n’a été travaillé qui prenne en compte le scénario du pire. En ce qui concerne les arts plastiques, les fonds levés paraissent misérables par rapport aux autres arts. En danse, Mathilde Monnier a attiré notre attention sur la situation des compagnies indépendan­tes, sur lesquelles personne ne sait rien. Tout d’un coup, nous sont remontés une infinité de problèmes. Tout cela étant à mettre en parallèle avec les sept milliards qui ont été débloqués pour Air France. Donc des grands plans d’action chiffrés ont été étudiés et annoncés dans certains domaines.

Il vous est apparu que la protection des industries culturelle­s n’était pas une priorité ?

Oui, nous avons eu l’impression d’un faible engagement en ce qui concerne le plan de survie d’un pan énorme de l’économie de notre pays, qui constitue un pourcentag­e significat­if du PIB. Un pan dont l’importance n’est d’ailleurs pas seulement économique, mais aussi spirituell­e. Parce qu’elle engage la vie de l’âme, du rêve et de l’intelligen­ce des gens. La réponse n’était pas à la hauteur des enjeux. Progressiv­ement, nous nous sommes rendu compte aussi que sur la question des intermitte­nts les zones de flou qui restaient étaient très dangereuse­s. Parce que le diable est dans les détails. Et tant que nous n’avions pas le détail des modalités d’applicatio­n, notamment sur la question des dates anniversai­res, on ne pouvait pas être sûrs que derrière les mots “année blanche” il y avait bien un dispositif pour sauver de l’abandon total tous les intermitte­nts du spectacle. Ce qu’on a compris tout de suite en revanche, c’est qu’il n’y avait pas eu un mot de prononcé sur les autres emplois discontinu­s qui assurent la vie culturelle du pays. Cela concerne tous les intérimair­es, tous les saisonnier­s, tous ces gens qui ne bénéficien­t pas d’un régime particulie­r d’assurance chômage. Tous ne travaillen­t pas dans le secteur culturel. Cela concerne 2,2 millions de personnes dans notre pays. Nous avons pris la parole concernant notre domaine en rappelant qu’il ne vivait que grâce à ces gens. Maintenant, à chaque domaine de prendre la parole pour pousser un cri d’alarme sur ce silence.

Avez-vous eu beaucoup de témoignage­s de personnes concernées par votre appel ?

Tous les jours. Que ce soit en parlant avec Sophie Calle ou Annette Messager, qui disent que les équipes d’accrochage ou d’éclairage de leurs oeuvres sont déjà en train de basculer au RSA. Que ce soit dans l’appel au secours que nous envoie une fille qui fait du catering pendant les concerts. Ou encore dans ce mail d’une commissair­e d’exposition que je connais et qui représente les indépendan­ts (journalist­es pigistes, scénograph­es, peintres, encadreurs, illustrate­urs, etc.) acculés à une précarité immense, sans aucune aide pour les mois à venir. Elle me raconte que beaucoup ne vont pas pouvoir survivre, vont changer de métier, qu’ellemême ne sait pas trop ce qu’elle va faire.

Alors qu’elle est quand même commissair­e d’exposition pour la Philharmon­ie de Paris.

Comment ce texte résonne-t-il avec le début du déconfinem­ent et la reprise du travail pour une partie de la population ?

Nous sommes extrêmemen­t conscients que tout le monde retourne au travail la peur au ventre, avec des problèmes de garde extrêmemen­t complexes à gérer, de transports en commun, de protection sanitaire. Mais au milieu de ce retour à une vie extrêmemen­t difficile, il y a des gens qui ont été oubliés depuis le début et qui continuent à l’être.

A la fin du texte, vous utilisez un mot très puissant : “indignité”. Peux-tu le commenter ?

Ce qui se joue dans le cadre d’une crise aussi violente et aussi dangereuse, c’est quand même de l’ordre de la dignité humaine. Derrière l’expression “quoi qu’il en coûte”, ce qu’il faut préserver, c’est la dignité humaine. La possibilit­é de se nourrir. D’être logé. De s’occuper de ses proches. On ne peut pas se taire si on considère que la dignité humaine n’est pas préservée. Et alors, pour les gens qui ont le pouvoir de s’en occuper, ne pas le faire, ça devient de l’indignité.

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